Il y a plusieurs années, j’ai été invité à un colloque sur la Guerre de 100 ans au cours duquel j’ai proposé un exposé sur un épisode guerrier ayant concerné le nord du Bourbonnais en 1369. L’article que je rédigeai à cette occasion n’a jamais été publié, à mon grand regret.
Je décide aujourd’hui de le sortir des oubliettes de l’édition historique régionale et de vous le livrer dans son intégralité. Bonne lecture!
Le siège de Belleperche
Cette fin d'été 1369 semblait pourtant s'écouler en toute quiétude pour les habitants du nord du Bourbonnais. Depuis le retour de captivité du duc Louis de Bourbon, les bandes de routiers qui avaient mis la région en coupe réglée quelques années auparavant n'avaient plus fait parler d'elles dans cette région meurtrie. La guerre, elle même, s'étaient déplacée très loin au nord du royaume, menée par quelques grands chefs militaires dont le duc Louis, rassemblés autour du roi Charles V. C'est alors que les populations du duché de Bourbon savouraient la paix retrouvée que l'imprévisible se produisit: une chevauchée conduite par des routiers cantonnés en Poitou, franchissant le Cher, se rendit maîtresse de la belle forteresse de Belleperche, dans la vallée de l'Allier, s'emparant d'un otage de haute naissance, Isabelle de Valois, mère du duc de Bourbon et belle-mère du roi Charles.
Les sources
L'historien a à sa disposition deux chroniques en langue française pour connaître le détail et la chronologie des évènements qui mirent Belleperche au centre de toutes les attentions dans les mois qui suivirent la prise du château par les alliés des Anglais. Jean Froissart (1) , brièvement, évoque l'épisode dans ses Chroniques. Beaucoup plus prolixe, Jean d'Orronville, dit Cabaret (2), consacre deux longs chapitres de sa chronique du bon duc Loys de Bourbon à relater avec précision l'ensemble des manœuvres qui conduisirent tant à la prise qu'à la libération de la forteresse bourbonnaise. Nécessairement suspect d'une subjectivité bienveillante à l'égard du duc de Bourbon dont il entreprend de relater les hauts faits de guerre, le récit de Cabaret a été confirmé comme source crédible par les travaux d'Olivier Troubat (3).
On regrettera qu'aucune campagne archéologique sérieuse n'ait jamais été entreprise sur l'un des trois sites sur lesquels nous allons nous pencher. Seules les observations sur le terrain et les photographies satellites peuvent venir compléter les textes narratifs médiévaux.
La chevauchée gasconne
La réussite de l'expédition menée par les routiers alliés des Anglais contre le château de Belleperche tient autant à un heureux concours de circonstances qu'à une excellente connaissance du territoire adverse et de ses faiblesses. Ce sont d'abord un, ou des espions, qui portent la nouvelle de la présence de la duchesse Isabelle de Valois dans la vallée de l'Allier jusqu'au quartier général de la compagnie de mercenaires gascons cantonnés à Niort. S'agit-il d'observateurs infiltrés à la solde des Anglais ou plus vraisemblablement de Bourbonnais demeurés complices des anciens occupants du duché bien après leur retrait en Guyenne, au retour du duc Louis? Grâce à cet, ou ces individus, les officiers commandant les routiers comprennent que tout en maintenant le risque d'échec à un niveau raisonnable, ils disposent d'une opportunité sans pareil de se saisir d'un otage dont il peuvent espérer tirer une forte rançon. Si l'objectif est éloigné de leur base, les capitaines gascons peuvent tirer partie de conditions stratégiques favorables. Le Cher, seul obstacle naturel sur leur route, en cet fin d'été 1369, est en période de bas étiage, et peut être franchi par des chevaux en de multiples points de son cours, sans éveiller l'attention. L'itinéraire choisi chemine dans un environnement bocager et forestier, à l'écart des villes fortifiées, idéal pour progresser sans alerter les populations. Arrivés en vue de Belleperche, les routiers ont confirmation de ce qui leur avait été révélé par leurs informateurs: la place est gardée par une garnison dérisoire et dilettante. Aucune alerte n'a mis les défenseurs sur leur garde. Les Gascons se rendent maîtres des lieux avec un minimum d'efforts, neutralisant les sentinelles par ruse. Une fois le reste des défenseurs éliminés, les routiers s'organisent pour que la citadelle nouvellement conquise soit prête à soutenir un siège. Cet exploit stratégique, pourtant, n'est pas le premier coup d'éclat à mettre au crédit des routiers. Quelques jours auparavant, une autre place-forte, la Bruyère-l'Aubespin, était déjà tombée entre leurs mains.
Prise et reconquête du château de la Bruyère
Comparativement aux évènements qui assombrirent le quotidien des habitants de la vallée de l'Allier au cours des longs mois de l'hiver 1369-1370, le drame que subit la petite citadelle de la Bruyère-l'Aubespin a presque valeur d'anecdote, et ne tient qu'une place réduite dans les chroniques du temps. Moins étudié que la bataille de Belleperche, cet épisode est pourtant plein d'enseignements pour comprendre la stratégie adoptée par les alliés des Anglais pour organiser leur chevauchée en Bourbonnais.
L'observation des ruines de cette petite citadelle et de son environnement immédiat est riche de détails qui permettent de reconstituer le plan de bataille des Gascons.
Même si aucune source ne cite ce toponyme au cours des premiers siècles de la féodalité, on peut estimer que la Bruyère-l'Aubespin est un lieu fortifié dont les bases sont antérieures au grand mouvement de mise en défense des lieux habités consécutif aux débuts de la Guerre de Cent Ans. On reconnaît, à travers les plans cadastraux, les photographies aériennes et l'orientation du parcellaire agricole, les vestiges d'une triple enceinte primitive dont les murs de la forteresse forment l'amorce. La Bruyère-l'Aubespin, vue du ciel, se présente comme un vaste enclos demi-circulaire entouré d'un large fossé humide. A l'angle Nord-Ouest se dressent les ruines de ce qui semble avoir été un donjon flanqué d'une chapelle. Une partie de l'enceinte garnie de tours rondes est encore en élévation. Sans être spécialiste en castellologie, on comprend, en découvrant le lieu, la fragilité de l'ensemble. La Bruyère n'exploite aucun avantage naturel pour assurer sa protection, à part, peut-être, la générosité de la nappe phréatique qui emplissait ses fossés. Le château trône au milieu d'un bocage sans relief et ses défenses apparaissent sommaires et bien fragiles devant un ennemi décidé. La Bruyère-l'Aubespin, place facile à prendre était, comme nous le verrons, tout aussi facile à perdre.
Pourquoi les routiers surgis du Poitou ont-ils jeté dans un premier temps leur dévolu sur ce site en particulier? Tout d'abord, les sources sont muettes sur les circonstances de la prise de la Bruyère. Fut-elle investie par la ruse, par la force, ou était-elle prête à accueillir la chevauchée gasconne? L'histoire a montré que les Anglais et leurs alliés avaient noué de nombreuses complicités en pays bourbonnais lorsque que son duc était captif en Angleterre depuis la défaite de Poitiers. Rien ne prouve qu'il y ait eu bataille pour s'emparer du petit château. Si ce fut le cas, ses structures ne souffrirent pas car il était intact lors du siège qui permis aux Français de s'en emparer.
Plusieurs arguments plaident en faveur d'un choix réfléchi des capitaines gascons se dirigeant vers Belleperche. La Bruyère-l'Aubespin était d'autant plus facile à atteindre qu'elle était une des places les plus proches de la vallée du Cher. Bien que voisine des villes fortes de Cérilly et d'Ainay-le-Château, fidèles au duc Louis, aucun contingent local n'aurait été assez nombreux, une fois rapidement réuni, pour en organiser le siège. Le dernier élément, je crois, déterminant pour un capitaine de chevauchée, est la grande cour intérieure qui occupe l'essentiel de l'espace fortifié de la Bruyère, et sa capacité à accueillir un nombre important d'équidés. Il est plus que probable que les Gascons aient choisi la petite citadelle de la Bruyère pour y organiser une base de repli prête à servir de refuge au gros de leur troupe en cas d'échec devant Belleperche. Maintenir une présence routière dans les murs de la Bruyère était un calcul dicté par la prudence mais qui se révéla catastrophique pour les occupants de la petite place forte.
Sitôt connues les prises de la Bruyère-l'Aubespin et de Belleperche, les Français réagirent en cherchant d'entrée à priver les Gascons de toute chance de repli organisé. La Bruyère, assiégée par le comte de Sancerre à la tête d'une troupe comprenant des contingents civils mobilisés par les villes franches bourbonnaises, n'eut pas les ressources pour tenir tête à ses assaillants. Son large fossé en eau fut facilement comblé par des végétaux servant de passerelle. Son mur d'enceinte, en petit appareil, ne résista pas à une sape protégée par un chat, preuve que la troupe conduite par le capitaine berrichon comprenait des soldats rompus aux techniques de siège. L'assaut se conclut par la capture des routiers survivants, qui furent traités selon leur hiérarchie: les chefs, dont on pouvait espérer tirer une rançon, furent séparés de leurs hommes. Le sort réservé à ces derniers fut particulièrement inhumain. Les combattants bourbonnais auxquels les mercenaires gascons furent abandonnés ramassèrent de quoi élever un bûcher où furent suppliciés ces routiers dont les semblables avaient ravagés quelques années avant ces campagnes dans lesquelles le vent dispersa leurs cendres. Le contingent gascon enfermé dans Belleperche avec ses otages se retrouvait ainsi isolé et bientôt assiégé.
Le château de Belleperche
A parcourir les descriptions et à détailler la gravure qui subsiste de la forteresse de Belleperche, on comprend les raisons qui amenèrent Isabelle de Valois, de passage dans la région, à faire une étape prolongée, et fatale pour sa liberté, dans cette demeure du val d'Allier. Outre sa position très plaisante dominant le cours de la rivière, le château n'était éloigné de Moulins que de quelques lieues, ce qui facilitait son approvisionnement pour contenter les besoins de son invitée et de sa cour. Les Gascons s'emparèrent d'ailleurs de la place un jour de marché dans la basse-cour, en se faisant passer pour des boulangers de Moulins.
Belleperche, toute belle résidence qu'elle était, n'offrait pas moins le caractère rassurant qu'exercent les grandes forteresses sur les gens qui viennent s'y abriter. Ceint de profonds et larges fossés secs, le château exploitait pour sa défense la protection naturelle que lui offrait le fort dénivelé de terrain qui l'isolait de la basse terrasse alluvionnaire de l'Allier. Flanquée de cinq tours, la muraille crénelée protégeait un haut donjon de base rectangulaire dominé par une tourelle d'escalier qui faisait un point d'observation idéal pour surveiller les alentours. Une large porte à deux tours (4) commandait le pont-levis. A l'extérieur, un relief pouvant correspondre aux restes d'une ancienne motte castrale servait de base à une barbacane assurant une protection avancée de l'entrée. Il suffit de constater le peu d'effet qu'eut l'emploi de grosses machines de siège contre ses murailles pour comprendre que Belleperche était une place-forte solide dont Louis de Bourbon pu mesurer les qualités, à ses dépends.
Le long siège de Belleperche a été parfaitement décrit et analysé par Olivier Troubat (5). Tous les récits de la bataille nous amènent à une unique conclusion: malgré les hommes -nombreux- et les moyens -inédits dans les régions du Centre en ce dernier tiers du XIVe siècle- engagés par Louis de Bourbon pour délivrer sa génitrice, la forteresse, bien que dévastée, a résisté. L'âge de ces grands châteaux féodaux n'était pas encore révolu.
Les machines de guerre de Chantelle
Une troisième place-forte, Chantelle, joue un rôle secondaire dans la campagne de Belleperche, en tant qu'arsenal de l'armée assiégeante. Ce très ancien site défensif est, au moment des faits, occupé par un imposant château-fort bénéficiant d'excellentes défenses naturelles. Isolé loin des limites du duché, sans ville importante à proximité, Chantelle n'est certainement pas un lieu de séjour prisé par l'aristocratie régionale. Ses atouts stratégiques en font, en revanche, un endroit idéal pour organiser un dépôt de machines de guerre dont nous n'avons pas le détail précis, mais que le récit de Cabaret permet d'imaginer. Le duc de Bourbon y possède de lourdes arbalètes montées sur affuts, dont six sont mises en batterie sous les murs de Belleperche. Ces « grosses arbalestes de Chantelle », maniées par deux servants, ont la capacité de tirer des traits à une distance et avec une puissance inégalées à l'époque et se révèlent particulièrement meurtrières lors de la bataille. Le chroniqueur évoque brièvement la présence de canons sur le théâtre de l'affrontement, sans en préciser le nombre. Ces pièces d'artillerie font peut-être partie de l'armement mobile ordinaire des troupes du duc, mais peuvent aussi provenir de l'arsenal de Chantelle. Louis de Bourbon fait de plus venir sous les murs de Belleperche des machines dont la nature n'est pas précisée dans les textes mais qui lui permettent de cribler de lourdes pierres les murailles du château où est détenue sa mère. La puissance des impacts qui terrorisent la pauvre femme au point qu'elle supplie son fils de faire cesser le bombardement de sa prison peut indiquer que ce sont des trébuchets qui furent mis en œuvre pour venir à bout de la résistance des geôliers d'Isabelle de Valois, mais aussi pour repousser l'armée anglaise venue au cours de l'hiver 1370 tenter de délivrer les routiers assiégés. Cet armement particulier, lourd et peu commode à déplacer sur de longues distances était certainement entreposé à Chantelle. Il est plus difficile de se prononcer sur l'origine des chausse-trappes que les soldats du duc de Bourbon semèrent autour de leur campement pour freiner l'attaque des fantassins anglais et qui causèrent de graves dommages dans les rangs des assaillants. Ces pièges peuvent avoir été forgés sur place comme provenir des arsenaux de Chantelle.
Le campement français.
En dépit de l'usage massif d'artillerie à pierre et à poudre pour réduire à merci les occupants de la forteresse de Belleperche, les vieux murs, quoique ébranlés, tinrent sans faillir, au point que le duc Louis et ses commensaux durent se résigner à cantonner sur place dans l'attente de jours plus fastes.
La topographie du champ de bataille n'offrait aux assiégeants que peu de choix pour s'établir. Les quelques reliefs propres à offrir une protection naturelle au futur campement étaient soit trop proches des remparts pour être hors de portée des tirs d'arbalètes routiers, soit trop éloignés pour garantir l'isolement de la zone de combat. En plus, le nombre croissant de chevaliers français venant rejoindre la troupe conduite par Louis de Bourbon poussait à sécuriser un large périmètre où cavaliers, combattants à pied et chevaux pourraient trouver un gîte acceptable. L'incertitude sur la durée de la campagne, que tous espéraient brève, plaidait en faveur de l'équipement d'une structure provisoire dont l'abandon se ferait le jour venu sans regrets. Les chroniques contemporaines relatent l'élévation d'un enclos faiblement fossoyé et palissadé d'une dizaine d'hectares, bâti à la hâte, mais ne donnent aucun indice pour situer précisément son emplacement.
A la recherche du camp perdu
N'ayant pas reconnu le terrain méthodiquement, faute des autorisations de prospection nécessaires, il convient de rester très prudent sur les informations qui suivent. L'auteur de ces lignes n'a vu du site de Belleperche que ce qui est accessible du domaine public. Cette approche, nécessairement tronquée, n'est d'aucune utilité pour tenter de situer l'emplacement de l'enclos qu'occupèrent les Bourbonnais et leurs alliés pendant de longs mois d'automne et d'hiver 1369-1370, et en vue duquel parvint un fort contingent anglais venu délivrer, en vain, les routiers assiégés. Sans support archéologique, il reste à l'historien quelques hypothèses que des sources indirectes peuvent venir étayer.
Il est fort douteux que la troupe aux ordres du duc Louis, une fois le château convoité évacué par ses occupants (6) ait mis un soin quelconque à déconstruire le clos fortifié où elle avait campé et à combler le fossé d'enceinte. On peut donc admettre que le retranchement médiéval n'a pas tout de suite disparu du paysage et a pu laisser des traces dans le parcellaire actuel. Sur les plans cadastraux, une parcelle en particulier attire notre attention. Un vaste polygone d’une superficie d’une dizaine d’hectares, compatible avec les mesures (mais sont-elles fidèles à la réalité ?) données par les chroniqueurs médiévaux est situé juste en face de l’ancienne porte de Belleperche. C’est également face à cette porte que le polygone offre son flanc le plus court. Stratégiquement, présenter une façade réduite aux tirs de l'archerie adverse serait le meilleur des choix qu’un militaire puisse faire. Le toponyme « le Champ soudard », relevé à l'est de la parcelle, attire l'attention. Peut-être avons nous là un écho du souvenir des troupes à pied ayant campé sur place.
Les clichés satellite livrent eux aussi des indices intéressants, quoique inutiles pour évaluer l'emplacement de l'ancien retranchement français. A l'ouest de Belleperche s'étend un vaste massif forestier, la forêt de Bagnolet dont la lisière suit parallèlement, de façon assez régulière, le relief de la vallée de l'Allier. Or, à l'aplomb du Champ soudard, les vues verticales révèlent un mitage forestier conséquent, fait de clairières et de retraits du couvert végétal (7). Si on se souvient que la palissade du camp ducal a pu mesurer plus de 1300 mètres, en partant d’un chiffre moyen de cinq pieux au mètre, on peut évaluer les besoins du génie bourbonnais à 6500 pieux, soit près de 3000 petits arbres abattus dans la forêt la plus proche. On sait aussi, selon les écrits de Cabaret, que les Anglais venus avec l'intention de délivrer Belleperche campèrent dans la forêt voisine de la forteresse. Le duc de Buckingham a certainement choisi un lieu dégagé comme camp de base et il est probable, si l’hypothèse précédente est juste, que ces clairières ont abrité temporairement contre les rigueurs de l’hiver bourbonnais chevaux, matériels et hommes venus croiser le fer dans la vallée de l’Allier.
Quelques vestiges.
De cette aventure mouvementée qui conduisit tant d’hommes de guerre dans le duché de Bourbon, le paysage bocager a conservé quelques traces, peu spectaculaires, des forteresses impliquées dans les combats.
En grande partie détruit à l’époque moderne, le château de Chantelle n’offre plus au visiteur que la vue de reliefs datant du premier âge féodal et de murailles qui ne lui permettent que de se construire une image imparfaite de ce que fut cette place avant son éradication.
La pire destruction fut commise à Belleperche. Mutilée par les tirs des machines de guerre du bon duc Louis, la construction subit un début d’incendie nocturne déclenché à dessein par les routiers. Cet embrasement du grand logis sema la confusion dans les rangs français et permit aux assiégés d’évacuer les lieux sans dommage en emmenant avec eux leur captive. Le feu, vite contenu par les hommes du duc ayant pris possession du château déserté, ne provoqua pas de désordres irréparables dans le bâti. Un siècle après les évènements, le géographe Nicolas de Nicolay décrit avec force détails la citadelle, à l’abandon, mais pas en ruines (8). J’ignore par qui et quand fut entreprise la déconstruction de l’ensemble, mais l’examen du site prouve qu’elle fut méthodique. Il ne subsiste sur place aucune pierre de taille ni gisement de gravats. Les fossés n’ont pas été comblés et on ne remarque aucune preuve significative de réemploi d’éléments d’architecture dans les hameaux voisins. Par satellite, on note l’existence de chemins reliant l’ancien château-fort aux berges de l’Allier. On peut donc supposer que Belleperche servit de carrière pour alimenter en matériaux un ou plusieurs chantiers de construction riverains du fleuve. Une prospection subaquatique du lit de l’Allier aurait peut-être des choses à nous apprendre.
C’est en définitive à la Bruyère-l’Aubespin que le souvenir de la campagne de Belleperche reste le plus présent. Sans doute peu endommagée par le court siège mené par les contingents bourbonnais, la place redevint un lieu de résidence pour l’aristocratie locale. Sa ruine, bien postérieure aux évènements précédemment décrits, n’a pas complètement effacé les murailles et les fossés qui ne continrent que brièvement les combattants venus laver l’affront fait à leur duc et à sa mère.
Notes
1. Chroniques de Jean Froissart, livre premier, § 628, publiées pour la Société de l'histoire de France par Siméon Luce (puis d'autres). 1869-1899
2. Orronville, Jean d'. La chronique du bon duc Loys de Bourbon, XXVII-XXIX, publiée, pour la Société de l'histoire de France par A.-M. Chazaud. 1876
3. Olivier Troubat, La Guerre de Cent Ans et le Prince Chevalier le « Bon Duc » Louis II de Bourbon, 1337-1410, Volume I, Publication du Cercle d'Archéologie de Montluçon et de sa région, 733 pages, Montluçon 2001
4. Les châteaux de Billy, dans l'Allier, et d'Ainay-le-Vieil, dans le Cher conservent des dispositifs défensifs analogues.
5. Troubat 2001, pp 415 à 450
6. Après avoir mis le feu à une partie des bâtiments pour tromper leurs adversaires, les routiers, sans être inquiétés, purent s'échapper, emmenant avec eux leur otage, qui ne fut délivrée que des semaines plus tard au château de Broue, près de Marennes.
7. La carte topographique du secteur révèle la présence de plusieurs haies perpendiculaires au cours d'un ruisseau au lit encaissé, souvenirs probables d'étangs asséchés qui peuvent aussi expliquer l'absence de végétation à l'ouest du champ de bataille.
8. Nicolas de Nicolay, Description générale du Bourbonnais en 1569 ou histoire de cette province, chapitre CXLIII
© Olivier Trotignon 2021 et 2024