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11 décembre 2023 1 11 /12 /décembre /2023 13:21

Le département du cher compte assez peu de cryptes, ou plutôt églises basses, aucune n’étant totalement souterraine. De la cathédrale de Bourges à l’église de Condé, en passant par Plaimpied, Saint-Hilaire-de-Lignières, il me semble avoir presque visité chaque site et l’avoir décrit dans les pages de ce blog.

Restait Léré et sa collégiale, qui n’est pas libre d’accès, mais qui, grâce à l’office de tourisme local, est ouverte à la visite à des heures précises, en particulier au moment des Journées du Patrimoine.

Sa crypte a perdu tout son mobilier liturgique, encore présent dans d’autres églises. L’ensemble est d’une grande sobriété, à l’exception de traces d’anciennes fresques qui recouvraient ses voûtes. Ces  peintures n’égalent pas celles de la crypte de Gargilesse, mais méritent d’être signalées.

L’aménagement de l’église basse a été particulièrement soigné: éclairage par dalles lumineuses, sol recouvert de tomettes de terre cuite, vitraux sobres décorant les ouvertures en lancette.

Le diocèse de Bourges compte, hors du département du Cher, quelques églises dont les cryptes peuvent être visitées librement. Outre Gargilesse, déjà citée, celles de Saint-Désiré et de Domérat, dans l’Allier méritent qu’on s’y attarde.

 

© Olivier Trotignon 2023

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17 juin 2023 6 17 /06 /juin /2023 09:22

Certains d’entre vous se souviennent peut-être encore de mon article présentant, sur ce blog, la cloche médiévale de l’église de Sidiailles, dans le sud du Cher.

Aujourd’hui, c’est une autre cloche, tout aussi intéressante, contemporaine de celle de Sidiailles et peut-être moins connue, que j’aimerais vous présenter.

Deux circonstances favorables m’ont permis d’y avoir accès: l’exposition présentée l’hiver dernier aux Archives départementales de l’Indre, où j’ai appris l’existence de cet objet, et la  grande gentillesse et disponibilité de mme la secrétaire de mairie de la commune de Diou, qui m’a confié la clé de l’église du village où est déposée la cloche en question. Je l’en remercie sincèrement.

La cloche de Diou est rare à plus d’un titre. Datée, sans millésime précis, du XIIIe siècle, elle est, si on consulte la base Palissy, unique en son genre dans l’Indre et compte parmi les rares instruments campanaires du diocèse hérités du Moyen-Âge. Elle est en bon état de conservation, sans fente ni fêlure et possède encore son mouton de bois fixé à ses anses par des ferrures d’aspect très ancien, peut-être d’origine?

Elle est en outre locale, sa légende portant la mention de saint Clément, patron de l’église paroissiale, et n’a pas été échangée contre une autre comme ce fut parfois le cas à la Révolution. Sa dernière qualité, et non des moindres pour le médiéviste, est d’être déposée dans la nef de l’église, visible sans avoir à jouer les acrobates dans des clochers poussiéreux.

La légende inscrite sur son cerveau est une simple prière:

 

« † SANCTE * CLEMENS * ORA * PRO * NOBIS † »

(saint Clément prie/priez pour nous)

 

adressée au saint patron du sanctuaire. Le début de la phrase et sa fin sont séparées par une croix, chaque mot est isolé par trois points superposés. Les lettres « S » sont curieusement à l’envers. L’harmonie de la légende et la finesse des caractères démontrent le soin avec lequel le fondeur a exécuté la commande.

 

Devant la cloche de Diou m’est venu une interrogation: une parenté avec sa consœur de Sidiailles serait-elle envisageable? Tous les points de comparaison écartent cette hypothèse. Les deux polices de caractères divergent sensiblement, à Sidiailles, c’est un signe à deux points, trois points à Diou, qui sépare chaque mot.  Par contre, dans l'église de Saint-Laurent, à l'est de Vierzon, est conservé un instrument que je n'ai pas vu mais qui, selon les photographies disponibles sur la base Palissy, présente de grandes similitudes avec celui de Diou, trois points de séparation superposés et des "S" inversés. Il est raisonnable de penser que les deux paroisses ont choisi le même atelier pour faire exécuter leurs commandes.

 

© Olivier Trotignon 2023

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8 avril 2023 6 08 /04 /avril /2023 11:04

© Titulus

L’église romane de La Celle, proche de la vallée du Cher, est sans conteste un monument qui mérite toute l’attention des amateurs d’art et d’architecture médiévale. Outre le bâti dans son ensemble, ce sanctuaire offre au visiteur une intéressante variété d’expressions artistiques anciennes (gisant-reliquaire, blason sculpté, copies de scènes antiques sur la façade, stèles antiques réemployées) dont une fresque d’une grande rareté sur laquelle j’aimerais attirer votre attention.

A l’intérieur de l’église, peinte à faible hauteur (environ deux mètres) se trouve une composition malheureusement très dégradée découverte par hasard au début du siècle passé, sous un plâtrât informe. Sous un Christ en majesté s’aligne un court texte en latin, lui aussi amputé d’une partie de ses mots, rédigé avec un lettrage soigné d’une longueur réduite par des abréviations.

Incompréhensible pour les non-spécialistes en épigraphie médiévale, catégorie à laquelle j’avoue humblement appartenir, cette inscription a été savamment étudiée par le groupe TITULUS, corpus des inscriptions de la France médiévale, dont les travaux sont accessibles en ligne.

Voici la transcription:

 

[Ob] se[cr] o sume Pat(er) quid Virgo plac(et) tibi [M] ate[r] ,

[ a] te Nate, peto sis vultu queso, quieto,

his qui p(ro)rsus amant hoc templo meq(ue) rec[la]ma[nt]

cum fueris sceler(um) vindex in fine [seculor]um

FIliu(s) adq(ue) Pater responsum do tibi[ Mater]

quib[(us) e]xoras sedes prebebo decor[as].

 

que les latinistes traduisent, après restitution des parties effacées, et par analogie avec d’autres textes complets contemporains, en:

 

Je te supplie, ô Père suprême, que la Vierge et mère te soit agréable ; à toi Fils, je te demande de montrer un visage paisible, je t’en prie, à ceux qui aiment vraiment beaucoup ce temple et qui ont à se plaindre de moi, lorsque tu seras le vengeur des crimes à la fin des siècles, Fils et Père, je te donne une réponse, Mère, à ceux que tu apaises, j’offrirai des demeures magnifiques.

 

Ajoutons qu’en examinant la totalité du tableau, les spécialistes ont identifié les restes de la silhouette d’un personnage laïc en position de prière figurant très certainement le commanditaire de la fresque.

 

Une incertitude plane sur l’âge exact de ce dessin, car les repères épigraphiques sont communs aux XIe et XIIe siècle.

Se basant sur des données anthroponymiques fantaisistes, Titulus attribue cette prière à un seigneur de Charenton qui n’a jamais existé, mais ne se trompe pas sur l’origine politique du chevalier auteur de la commande. La maison de Charenton domine toute la région pendant presque deux siècles. De plus, un de ses représentants est connu pour un certain nombre de fautes graves qui ont attiré l’ire de la royauté et du clergé.

Plutôt que de reproduire une numérotation anachronique et dénuée de fondements qui impose des degrés généalogiques aux quelques seigneurs de Charenton connus par les textes, je parlerai d’un homme nommé Ebe, fils et successeur du Ebe connu pour avoir été un des principaux fondateurs de l’abbaye de Noirlac.

Ce détenteur du pouvoir féodal local se distingue très vite par une série de mauvaises pratiques à l’encontre des monastères locaux, qui lui valent la colère du jeune roi Philippe Auguste qui mène contre lui la première chevauchée punitive de son long règne. Plus tard, il accueille dans ses ville et château de Charenton des mercenaires pillards d’églises, qu’il trahit sitôt la place évacuée par les hommes d’armes. Ebe est aussi capable de repentir, car on le voit participer à la fondation de l’abbaye cistercienne féminine de Bussière et doter plusieurs autres monastères. Cet homme part en 1189 vers la Terre sainte, croisade dont il ne revient jamais. Son bilan en qualité de bâtisseur d’églises est incertain. Dans les textes d’époque, rien ne permet de le distinguer de son père. L’absence de chronologie de leurs pouvoirs respectifs ne permet pas d’attribuer à l’un ou à l’autre tel ou tel monument religieux, abondants dans cette partie du Berry du Sud. Ces « demeures magnifiques » auxquelles la prière murale fait allusion font certainement partie de cet ensemble et matérialisent la rédemption des « crimes » évoqués dans cette imploration.

© Olivier Trotignon 2023

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10 juillet 2022 7 10 /07 /juillet /2022 08:40

 

Un de mes anciens maîtres avait coutume de dire qu’en Histoire, certaines choses n’étaient connues qu’au moment de leur disparition. C’est le cas d’un des plus étranges reliquaires qui a, plusieurs siècles durant, abrité le cœur du fondateur de l’abbaye et de l’ordre de Fontevraud.

Elevé dans la petite chapelle du prieuré d’Orsan, dans le sud du Berry, ce monument se présentait sous la forme d’une pyramide, cas vraisemblablement unique dans toute l’architecture romane de nos régions. Voici les sources dont nous disposons à son sujet.

Lors de l’hiver 1116, Robert d’Arbrissel vint mourir à Orsan, petit prieuré qu’il avait lui même fondé quelques années auparavant grâce à la générosité de la noblesse locale. Afin que sa dépouille puisse rejoindre Fontevraud en toute dignité, le moine fut embaumé dans les murs du monastère, avant d’accomplir son dernier voyage. Il fut décidé que son cœur resterait sur place, où il acquit le statut de relique.

Je me permets d’ouvrir une parenthèse pour remarquer que les nombreux biographes qui ont publié une foule de détails qui auraient marqué les derniers jours du Bienheureux Robert à Orsan n’ont jamais relevé la contradiction entre le luxe de précisions hagiographiques qu’ils exposent et leur ignorance totale de la cérémonie d’embaumement dont le corps du moine fut l’objet, ce qui rend à mes yeux plus que suspects les récits, fussent-il médiévaux, qu’ils rapportent.

La première mention de la pyramide qui nous parvient est un témoignage indirect. Un cultivateur rapporte le témoignage de feu son père qui avait vu, enfant, les protestants s’attaquer, en vain, à la dite pyramide, lors du saccage du prieuré en 1569.

Les seuls renseignements précis datent de 1646, alors que le prêtre fontevriste Jean Lardier, inspectant au nom de l’abbesse de Fontevraud la prieurale d’Orsan, décide de bouleverser l’aménagement de celle-ci. Jugeant « indécente » la position de la vieille pyramide par rapport au maître-autel, il ordonne son déplacement à un endroit plus propice et son ornementation selon le goût de l’époque, effaçant la sobriété médiévale sous des atours baroques. Il fait état de l’ouverture du reliquaire en 1634 et de la découverte d’une boite en bois, contenant elle-même une boite en ivoire « ciselée en façon de losanges » et enfin du cœur du bienheureux Robert. Au contact de l’air, tout tombe en poussière et les poudres sont recueillies précieusement et ensachées avant d’être replacées dans la structure pyramidale.

A quoi pouvait bien ressembler le cénotaphe de dom Robert ? La pyramide repose sur une base triangulaire -on parle de trois pierres. Sa hauteur doit être faible, car le Huguenot qui tente de la fracturer utilise une pièce de bois et agit seul (il est aussitôt frappé d’infirmité et abjure sa foi protestante pour retrouver l’usage de son bras). La niche contenant la relique semble de petite dimension. 

Qu’est ce qui a pu inspirer les religieux au moment de choisir la forme du reliquaire ? A ma connaissance, aucune autre pyramide à trois pans n’est signalée dans les pays du Centre, ni ailleurs. Quelqu’un, en pèlerinage à Rome, aurait-il vu le tombeau pyramidal de Cestius, réputé contenir les restes du fondateur de la ville, et suggéré la même disposition, à une échelle très réduite, pour accueillir les cendres du fondateur de Fontevraud ? C’est une hypothèse plaisante mais invérifiable.

L’étrange monument, comme le reste de la chapelle, disparut après qu’Orsan eut été vendu comme bien national. 

Je reste bien entendu à l’écoute de toute information sur des structures similaires, funéraires ou non, observées à l’époque romane. N’hésitez pas à m’en faire part, si l’occasion se présentait.

 

 

© Olivier Trotignon 2022

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15 février 2022 2 15 /02 /février /2022 11:50

Mise en valeur dans les programmes scolaires, la période des Lumières semble avoir été le fait de grands esprits laïcs pré-révolutionnaires. Souvent totalement passés sous silence, des savants religieux ont produit un travail en tous points remarquable sur lequel l’historien peut s’appuyer en toute confiance pour accéder à des informations utiles à la connaissance du terroir qu’il étudie.

Il y a plusieurs années, j’avais rédigé l’article qui suit pour le compte de la regrettée revue Berry magazine, compte non soldé car la dite revue n’a jamais pensé à me dédommager pour sa composition. N’en ayant donc jamais, à mon grand regret, cédé les droits, je vous le propose, légèrement revu et corrigé, en libre lecture.

Les tribulations d'un savant bénédictin en quête d'informations sur l'histoire religieuse du diocèse de Bourges.

Un enquêteur d'exception

Né au Puy-en-Velay, Jacques Boyer manifeste dès l'enfance un don pour les études, qui le conduit à prononcer ses vœux parmi les Bénédictins. Expert en paléographie latine et passionné par les recherches, ce serviteur de l'Histoire est très tôt pressenti par la hiérarchie bénédictine pour collaborer à un immense chantier d'érudition entrepris autour de l'histoire du Christianisme en France, rédigé sous forme d'un ouvrage collectif qui demeure aujourd'hui une référence pour les chercheurs, la Gallia Christiana.

En 1710, il quitte son monastère pour un long voyage à travers les provinces françaises, visitant les monastères, collectant des traditions orales, recopiant des textes anciens, et envoyant, lorsque l'occasion se présente, ses notes à Paris aux rédacteurs de la Gallia. Ayant momentanément terminé son exploration des archives auvergnates, il arrive dans le diocèse berruyer en mars 1711.

 

Le carnet de voyage de Dom Boyer

S'il reste peu de trace de sa correspondance avec les savants parisiens, le journal de voyage du père Boyer a été en grande partie conservé et publié à la fin du XIXe siècle (note). Rédigé suivant la chronologie des déplacements du religieux dans les provinces, cet ouvrage n'était pas à l'origine destiné à être lu par le grand public. Son auteur y note donc très librement un foule de petites remarques sur ses conditions de voyage, sur les gens qu'il rencontre ou sur la façon dont il est reçu par ses hôtes. Ses pages fourmillent donc de détails de la vie quotidienne pris sur le vif. Quittant Saint-Pierre-le-Moûtier pour Nevers, le moine découvre trois hommes suppliciés, deux roués et un pendu, sur le bord de la route. Sobrement, il remarque que "la justice de St-Pierre est extrêmement exacte". Arrivé à Bourges en avril, il est témoin de la montée des eaux de l'Auron, qui inonde les prés de Chape et consigne que, inquiet du déluge qui s'abat sur la ville depuis plusieurs jours, l'archevêque ordonne neuf jours de procession pour demander le beau temps. Passant le Cher à Saint-Florent le 19 mai, il s'étonne de la longueur du pont qui enjambe la rivière et relève les stigmates de la crue de 1707, qui avait emporté une partie des arches. A Chezal-Benoît, où il réside plusieurs semaines, c'est une marche d'escalier, qui brille faiblement la nuit, qui attire son attention.

Dom Boyer cite le nom des auberges où il dîne - le Cheval blanc à Moulins, le Bœuf couronné et l'Écu, à Bourges, le Dauphin à Issoudun, le surnom d'un moine, dit "la Toise", à cause de ses presque deux mètres de taille, ou détaille le plaisir qu'il a eu à bien manger ou à écouter de beaux sermons.

L'itinéraire suivi par le savant ignore une grande partie de la province. En mars 1711, Jacques Boyer est en Bourbonnais et rencontre les communautés monastiques de Chantelle, Izeure, Saint-Menoux et Souvigny. Après avoir passé une semaine en Nivernais, il arrive le 8 mai à Bourges où il demeure presque un mois. Son séjour dans la cité lui offre de multiples occasions de rencontrer l'archevêque et de nombreuses personnalités religieuses locales comme les abbesses de Bussière et de Saint-Laurent, et de visiter des monuments comme la crypte de la cathédrale, l'hôtel-Dieu ou le couvent de l'Annonciade.

Le 19 mai, il prend la route de Chezal-Benoît, monastère de son Ordre, où il réside partiellement jusqu'au début juin. Il profite de son séjour à Chezal pour visiter Bommiers, l'abbaye de la Prée et rédige un compte-rendu très détaillé de son expédition jusqu'à l'abbaye cistercienne des Pierres, 40 kilomètres plus au sud. Le 6 juin, il se dirige vers Vierzon, qu'il atteint par le port de Lazenay. De Vierzon, où il réside jusqu'au 20 juin, il se rend, franchissant le Cher à Langon, jusqu'à l'abbaye d'Olivet, qui représente l'extrémité septentrionale de son voyage en Berry. Après être revenu à Chezal-Benoît par Issoudun, puis à Bourges, il retourne sur ses pas le 21 juillet. Passant par Etrechy, il retrouve la Charité-sur-Loire, Nevers, Souvigny au début du mois d'août avant de franchir les portes de l'Auvergne.

Jamais, dans ses notes personnelles, le religieux n'exprime les raisons qui l'ont mené à négliger de poursuivre sa quête de documents dans la majeure partie du diocèse. Ce manque de curiosité pour les archives de dizaines d'abbayes des actuels départements de l'Indre et du Cher, pourtant dûment référencées dans la Gallia Christiana, confirme que d’autres savants parisiens sont venus en Berry collecter les informations indispensables à la rédaction de leur encyclopédie du Christianisme en France. On connaît, entre autres, les comptes-rendus de Dom Estiennot, en particulier après sa visite de Noirlac. D'éminents latinistes locaux étaient peut-être associés à cette tâche, et de nombreux frères bibliothécaires ont sans doute été sollicités par les Bénédictins pour fournir des copies d'archives anciennes, confiées aux bons soins de voyageurs en partance pour Paris, comme Dom Boyer en rencontre tout au long de son voyage.

 

Un éclairage irremplaçable sur des lieux disparus

Observateur avisé et indépendant des lieux qu'il visite, le père Boyer décrit avec une certaine finesse des monuments du patrimoine régional aujourd'hui disparus, révélant parfois, sans s'en douter, des contradictions entre sa propre mesure des choses et des traditions orales sur lesquelles certains érudits se sont appuyés pour écrire l'histoire de communautés monastiques locales. Inversement, des études récentes permettent d'évaluer l'honnêteté de certains récits qu'il recueille lors de son enquête. Le récit de son crochet jusqu'à l'abbaye des Pierres, à la limite entre le Cher et la Creuse est, à ce titre, particulièrement significatif.

Le premier juin 1711, Dom Boyer, résidant dans la communauté bénédictine de Chezal-Benoît, part, en compagnie d'un de ses hôtes, en direction du sud. Les deux hommes passent par Lignières, Saint-Hilaire, Orsan et le Châtelet, suivant un axe destiné à devenir un jour la départementale 85. Après s'être restaurés à l'abbaye de Puyferrand, les deux bénédictins poursuivent leur chemin en direction de l'abbaye des Pierres, traversant le village de Saint-Maur puis coupent à travers la campagne, évitant la ville de Culan, dont il n'est pas fait mention, pour rejoindre le cloître cistercien. Sitôt sur place, Dom Boyer note que les Pierres sont "un lieu bien affreux et presque inabordable", peut-être influencé par l'ancien toponyme de "Val horrible", que les gens de la contrée accordaient au ravin au bord duquel le monastère était construit. Le moine, venu chercher dans les papiers de l'abbaye une liste d'abbés, déplore la maigreur de la documentation qu'on lui soumet, attribuant les lacunes du chartrier aux ravages des Protestants lors des Guerres de religion. Toute la région avait, en effet, été la proie d'une bande huguenote, attachée à l'armée du duc de Deux-Ponts, en 1569 et plusieurs monastères avaient eu à souffrir, avec plus ou moins de gravité, de ses exactions. Curieusement, le pillage de 1650, tout aussi grave, des Pierres par les troupes catholiques du Grand Condé, lors des troubles de la Fronde, est passée sous silence. Cette mémoire sélective des graves événements vécus par la communauté dans les décennies précédentes s'explique peut-être par la brièveté de l'étape cistercienne du savant qui repart, le soir même, pour le prieuré d'Orsan.

De toutes les notes prises par le savant lors de ses quatre mois passés à explorer les fonds documentaires régionaux, ce sont probablement celles consignées lors de sa visite du monastère d'Orsan qui sont les plus instructives pour l'historien. Orsan présentait autrefois plusieurs particularités. Fondée au début du XIIe siècle par Robert d'Arbrissel, abbé de Fontevraud, cette communauté, dirigée par des femmes, avait vu mourir dans ses murs son fondateur. Son cœur, soustrait à sa dépouille mortelle rendue à Fontevraud, avait été conservé sur place dans une chasse de plomb déposée dans une pyramide élevée dans la chapelle prieurale. La relique, profanée par les Protestants lors des mêmes événements dont les Pierres avaient eu à souffrir, dut à la bienveillance de quelques paroissiens de ne pas être perdue. Pyramide brisée, le cœur de Robert d'Arbrissel fut sauvé de justesse. Réputé miraculeux, cet objet de piété populaire permit même l'ouverture d’une enquête sur les vertus des restes du Bienheureux Robert, qui demeure notre principale source d'informations sur les événements ayant bouleversé Orsan. Ce pillage huguenot fut-il si terrible qu'on le lit en général? Il est permis d'en douter en parcourant les notes prises sur place par Jacques Boyer.

Le savant note tout d'abord l'architecture des voûtes de la chapelle, aujourd'hui démolie, s'étonnant de l'originalité de leur forme en cul-de-lampe, comparable à celles des églises de Saint-Pierre d'Angoulême ou de Souillac, dans le Lot. Puis, découvrant le mobilier de la chapelle, il décrit le reliquaire pyramidal, intact et signale la présence des tombes d'Adalard Guillebaud, le seigneur à l'origine de la fondation d'Orsan et de Léger, archevêque de Bourges et ami proche de Robert d'Arbrissel. Visitant le prieuré, il admire la qualités des boiseries, parcourt les archives et se fait même présenter l'anneau et le sceau de Léger, trouvés dans sa tombe ainsi que quelques ornements de métal ayant appartenu à sa crosse.

Ce sont ces observations qui sont les plus instructives. Au lendemain du passage des Protestants, Orsan avait été décrit comme ravagé et les commentateurs n'avaient pas économisé les remarques déplorant l'étendue du saccage. Or, un siècle et demi après les événements, le moine découvre un monastère intact, dont les tombes n'ont pas été profanées et pillées, qui a conservé ses parchemins les plus anciens, et où personne ne parle plus, contrairement aux Pierres, du prétendu pillage. Même le cœur de Dom Robert, comme on l'appelait alors, a retrouvé sa place dans sa petite pyramide restaurée. Le témoignage de Jacques Boyer permet donc de tempérer les doléances des catholiques du XVIe siècle, qui, traumatisés par les horreurs subies par la région, avaient exagéré la portée des événements qu'avait eu à subir le petit couvent berrichon.

Fort de ses observations, mais pressé par le temps, le bénédictin retourne à Chezal-Benoît, avant de poursuivre son voyage dans le nord de la province.

 

Dom Boyer revint quelques années après son périple en Berry finir sa vie parmi ses frères de Chezal-Benoît. Vers 1850, les sociétés savantes locales ne constatent plus que ruines à Orsan et à l'abbaye des Pierres. De nos jours, si Orsan a trouvé un nouvel éclat, il ne demeure sur place plus aucune trace du patrimoine admiré il y a 300 ans par le savant latiniste. Quant aux Pierres, seules quelques ruines informes achèvent de s'effacer dans la végétation.

 

(note) Journal de voyage de Dom Jacques Boyer, publié et annoté par Antoine Vernière, 537 pages, Clermont-Ferrand 1886

 

© Olivier Trotignon 2022

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14 juillet 2021 3 14 /07 /juillet /2021 14:56

priorale de La Chapelaude

 

C’est un épisode abondamment documenté de l’histoire du Berry méridional que celui de la restauration du très ancien prieuré de La Chapelaude, sur lequel il semble que tout ait été dit, qui a retenu mon attention suite à des lectures récentes.

Cet évènement est connu grâce aux travaux de l’archiviste bourbonnais Martial-Alphonse Chazaud, qui, au XIXe siècle, a eu la patience de réunir les copies de la majorité des actes du cartulaire de ce monastère, déjà perdu à son époque. Cette mine documentaire nous permet de reconstituer la genèse du retour des moines de l’abbaye de Saint-Denis, près de Paris, dans leurs anciennes possessions berrichonnes. Chazaud lui-même, ainsi que plusieurs autres érudits, ont largement publié en leur temps sur le sujet, qui semble aujourd’hui épuisé.

Il demeure toutefois un détail qui a échappé aux chercheurs: l’identité exacte du chevalier qui restitua aux moines dyonisiens leur légitimité de propriétaires terriens dans la région de La Chapelaude.

Les origines du prieuré de La Chapelaude se situent dans cette longue période très peu documentée qui précède l’avènement du système féodal. La désagrégation des institutions carolingiennes s’est traduite par une  érosion des contacts que l’abbaye parisienne entretenait avec ses domaines ruraux qui, une fois tombés en déshérence, passèrent sous la coupe de diverses autorités locales que personne n’osait contredire.

La nouvelle forme d’administration de l’espace que représenta le système féodal procura au clergé un cadre assez solide pour rentrer en possession de ses biens spoliés. La réforme grégorienne fournit une motivation spirituelle suffisante pour que de nombreux féodaux rendent à l’Église les droits et terres qu’elle réclamait.

Afin de préparer le retour de ses frères en terre berrichonne, un moine vint occuper une maison à Audes. Il est probable que ce religieux réussit à convaincre les seigneurs locaux d’assurer le salut de leurs âmes en restituant à Saint-Denis ses anciennes possessions. Le premier d’entre eux, connu sous le nom latin de Johannes de Sancti Caprasii miles, a longtemps retenu mon attention à cause de plusieurs détails intrigants.

Son nom fut traduit par M.A. Chazaud en Jean de Saint-Caprais, chevalier, orientant naturellement la localisation de son fief autour de la petite paroisse de Saint-Caprais, non loin du château d’Hérisson, dans le département de l’Allier. Or, qu’on soit sur place ou qu’on examine les clichés satellite de ce terroir, on ne remarque aucune trace d’activité féodale. Le bourg est minuscule, aucun vestige de fortification n’est apparent, ce qui surprend quand on sait que Jean de Saint-Caprais portait le titre, encore rare en cette mi-XIe siècle, de chevalier. Autre motif d’étonnement: il n’y a aucune trace de donations dans le périmètre de la paroisse supposée éponyme, tout ce que le chevalier et ses descendants ont donné ou contesté au prieuré dyonisien se trouve proche de la celle monastique.

 

 

abbaye de Bonlieu

 

C’est, il faut l’avouer, un peu par hasard que la solution à cette anomalie est apparue. En consultant la copie du cartulaire de l’abbaye cistercienne de Bonlieu, mis en ligne par les Archives départementales de la Creuse, j’ai relevé à plusieurs reprises le toponyme, devenu anthroponyme, de Sancti Caprasii, porté par une famille chevaleresque originaire de la paroisse de Saint-Chabrais, près de Chénerailles, à une soixantaine de kilomètres au Sud-Ouest de La Chapelaude. Au regard des actes de piété consentis par ces gens au profit des Cisterciens creusois, on peut, je pense, réfuter la traduction proposée par Chazaud, et admettre les Saint-Chabrais comme fondateurs du nouveau prieuré de La Chapelaude. Plus tard, cette famille s’est intéressée au sort des Cisterciens des Pierres et place une des siennes, âgée, parmi les moniales cisterciennes de l’abbaye de Bussière.

Dès le XIe siècle, des liens sont attestés avec la seigneurie d’Huriel, et confirmés au XIIIe siècle.

Nous observons là un nouveau parallèle entre l’histoire du Berry du Sud et celle de la Marche, qu’aucune limite à part celle, théorique, des diocèses, ne semble avoir séparées. Nous relevons de plus une preuve supplémentaire de la grande hétérogénéité de certains petits fiefs, possédant des dépendances dans des espaces éloignés du cœur des seigneuries.

 

abbaye des Pierres

 

© Olivier Trotignon 2021

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14 juin 2021 1 14 /06 /juin /2021 15:53

Chacun qui connait mon travail sait que je n’ai pas pour principe de vanter les mérites de lieux patrimoniaux archi-connus, comme d’autres le font si bien, avec, comme cible principale, le porte-monnaie des touristes, surtout quelques semaines avant le début des congés d’été.

L’endroit que je tiens à vous faire partager est un peu à l’écart de tout: pas de grande ville proche, ni de route des vacances, pas de grand site naturel dans le voisinage, pas de signalétique dédiée,  juste un patrimoine médiéval absolument remarquable qui a retenu toute mon attention.

Soyons juste: d’autres, maîtrisant le sujet bien mieux que moi, ont publié sur cet endroit. Me refusant à vampiriser leurs écrits, par respect envers leurs recherches, je me contenterai de décrire le lieu tel qu’il m’est apparu, avec l’espoir de vous donner envie de le découvrir à votre tour.

Germigny-l’Exempt est une petite commune sise dans le bocage du nord de l’ancien duché du Bourbonnais. Bien avant l’apparition de cette entité politique tardive, cette paroisse dépendait de la seigneurie de Bourbon. C’est là que l’un de ses seigneurs fit élever une forteresse que Suger qualifie de munitissimum castrum « un château très fortement armé » qui fut l’objectif d’une chevauchée au début du XIIe siècle menée par le roi Louis VI, épisode dont j’aurai à reparler dans un futur billet.

Si le gros donjon que le roi de France trouva sur sa route a aujourd’hui malheureusement été complètement rasé, le regard du visiteur est accroché, des kilomètres à la ronde, par un clocher monumental sans équivalent dans la région.

Haut de plus de trente mètres, ce clocher qui doit représenter des centaines de tonnes de pierre et de bois repose sur un porche beaucoup plus large que sa base, dessiné pour supporter cet exceptionnel massif de maçonnerie. Il ne m’a pas été possible de photographier l’édifice dans la totalité de son élévation, faute du recul nécessaire. J’ai choisi de reproduire un ancien cliché pris à une époque où la végétation était moins abondante. Comme c’est le cas dans une autre église de la région de bien plus petite taille, Ainay-le-Vieil, les deux entrées latérales du clocher-porche de Germigny sont condamnées.

Cette modification du porche explique peut-être la conservation de quelques traces de polychromie sur le superbe tympan surmontant l’entrée du sanctuaire, que les historiens de l’Art ont daté du XIIIe siècle. Sculptée dans un calcaire très fin venant certainement des carrières de Charly, cette Adoration des Mages est une des plus belles œuvres gothiques visibles dans le diocèse berrichon.

On note avec regret la disparition des deux statues colonnes qui encadraient la porte de l’église. Connues par une gravure ancienne, elles ont été victimes de ce terrible laisser-aller qui a longtemps permis à des riches collectionneurs, parfois originaires d’outre-Atlantique, de faire impunément leurs emplettes d’éléments patrimoniaux nationaux pour enrichir leurs collections.

Connaissant l’intérêt de tout un public pour le patrimoine médiéval de qualité, il me semble que l’église de Germigny-l’Exempt a toute sa place sur un itinéraire de découverte menant à Bourges, à Nevers, à la Charité-sur-Loire ou même à Saint-Benoît-sur-Loire.

© Olivier Trotignon 2021

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15 mai 2021 6 15 /05 /mai /2021 08:59

Voici quelques années, j’avais rédigé sur ce blog un billet sur un instrument d’une grande rareté: une cloche médiévale, datée du XIIIe siècle, suspendue dans le clocher de l’église d’une commune du sud du département du Cher, Sidiailles. Á partir de la collecte de divers renseignements, j’avais alors émis quelques hypothèses sur ses origines, sans avoir eu l’occasion d’approcher l’objet.

Dernièrement, cette opportunité s’est présentée grâce à l’initiative de la société Deep Explorer et l’autorisation de la mairie de Sidiailles. L’observation de divers détails sur la cloche m’incite à préciser certaines informations antérieures formulées dans ce premier article.

 

Les cloches médiévales en Berry du Sud

 

En 1937, dans un intéressant article publié dans les Mémoires de la Société historique, littéraire et scientifique du Cher, l’historien Robert Gauchery recensait dans le Cher plusieurs cloches médiévales ayant échappé aux injures du temps, pillages, réquisitions révolutionnaires ou tout simplement refonte pour produire de nouveaux timbres. Jugeant plusieurs d’entre-elles contemporaines sinon antérieures à celle de Sidiailles, il reconnaissait volontiers à ce dernier instrument une place privilégiée dans le patrimoine campanaire régional et national. Non seulement la cloche de Sidiailles est ornée d’inscriptions modelées avec beaucoup de soin - la plupart des autres sont anépigraphiques - mais elle est une des rares en France de cette époque à porter une date, 1239. Depuis le début des années 2000, Sidiailles ajoute un autre record à un palmarès déjà honorable: sa cloche est la plus ancienne de l’Hexagone à être encore en activité en sonnant les angelus. Cette prouesse est rendue possible par sa restauration, en 2000, par la société Bodet, spécialiste en la matière. Plusieurs autres cloches dans la région sont en mauvais état, usées par le temps, et ne sont plus liées à aucune corde ni frappées depuis longtemps.

Un emplacement inattendu

 

Une curiosité: la cloche médiévale est installée dans une église bâtie dans la seconde moitié du XIXe siècle, en remplacement du sanctuaire primitif, qu’on suppose de facture romane. La modicité des dimensions du clocher rend malaisé son accès et quasi impossible, faute de recul, la lecture de l’ensemble de l’inscription qui figure sur sa partie haute. Contrairement à ce qu’on rencontre dans d’autres clochers où les instruments de bronze sont à une hauteur supérieure à  celle d’un individu, un plancher permet d’examiner assez facilement une partie des lettres et des signes qui forment la légende.

L’inscription

 

La totalité de l’inscription a été recopiée à plusieurs reprises. Toutes les sources s’accordent sur la formule latine:

 

« MENTEM : SANCTAM : SPONTANEAM : HONOREM : DEO : QUE : PATRIE : LIBERATIONEM : »

 

dont la traduction littérale n’a que peu d’intérêt. Il s’agit d’une formule classique du passé campanaire: afin de préserver leurs clochers de la foudre, certains commanditaires faisaient inscrire sur les cloches qu’ils faisaient fondre une antienne du culte de sainte Agathe, réputée pour conjurer le feu, l’incendie et la foudre. Cette formule est connue dans plusieurs sites occidentaux médiévaux et post-médiévaux. On apprend avec intérêt qu’un instrument contemporain du timbre de Sidiailles a été repêché au large de la côte israélienne, non loin de Saint-Jean-d’Acre, probablement perdu au moment de la fuite des Chrétiens devant la prise imminente de la ville par les Musulmans.

Tout aussi vide de sens pour l’histoire locale est la date:

 

« . ANNO : DEI : M : CC : XXX : IX : »

 

Aucune source locale ou régionale ne contient le moindre élément qui puisse relier la fonte de la cloche de Sidiailles à un évènement quelconque. Nous reviendrons sur ce point.

Deux autres signes, dont l’interprétation est ambigüe, seront évoqués plus bas.

Les différentes hypothèses sur son origine

 

Comme on pouvait s’y attendre pour des périodes aussi anciennes, il n’existe nulle trace de la cloche dans les chartes locales, aussi peut on se poser une première question candide: est-elle vraiment originaire de Sidiailles? Les évergètes ayant financé la reconstruction de l’église auraient-ils pu en faire l’acquisition ailleurs?

Sans entrer dans les détails, il est certain que plusieurs éléments de l’ancienne chapelle se retrouvent dans l’église neuve. Sauf preuve du contraire, la cloche a été déposée au moment de la démolition du vieil édifice et a été replacée dans le  nouveau clocher. Ceci conduit à une autre interrogation: pourquoi une cloche de si belle qualité s’est-elle retrouvée dans le clocher d’une petite paroisse du Berry? Les autres instruments recensés par R. Gauchery sont tous de facture plus grossière, et ont sonné dans des terroirs plus riches et peuplés que le lieu qui nous occupe.

J’avais primitivement émis l’hypothèse d’une translation de la cloche de la chapelle Sainte Valérie, attachée au château voisin de la Roche-Guillebaud. Ses seigneurs auraient eu les moyens financiers de commander la fonte de ce bel objet. La taille de l’instrument infirme cette proposition. La chapelle de la Roche était une simple chapelle castrale et son clocher était trop petit pour supporter le poids d’Agathe (tel est son nom). Par comparaison, la sonnaille qui se trouvait dans la chapelle du château de Montrond est conservée au musée municipal de Saint-Amand; il s’agit d’une pièce de beaucoup plus petite taille. J’exclue donc la Roche-Guillebaud comme origine de notre cloche.

Enquête chez les Cisterciens

 

La piste la plus probable nous conduit, à quelques kilomètres du bourg de Sidiailles, vers les ruines de ce qui fut, au XIIIe siècle, un des monastères les plus importants du Berry du Sud, l’abbaye des Pierres, beaucoup moins connue, aujourd’hui, que celle de Noirlac, mais dont le rayonnement spirituel passé égalait et même dépassait celui de son homologue de la vallée du Cher. La thèse la plus couramment émise est celle d’un transfert de la grosse cloche des moines vers l’église de Sidiailles au moment de l’abandon des bâtiments des Pierres. Est-il possible de valider définitivement cette proposition?

 

L’étude des archives ne nous livre aucune information. La date de 1239 n’éveille aucun écho dans le chartrier de l’ancien monastère. Qu’il n’y ait rien ne signifie pas qu’il n’y a rien eu, naguère. Les Pierres ont été victimes de plusieurs pillages et ses archives nous sont parvenues amputées d’une partie de leur contenu, sans doute définitivement perdu. La cloche peut tout à fait avoir été offerte par une personnalité, comme d’autres offraient des rentes et des terres, pour une sépulture dans le sous-sol monastique ou le salut de leur âme.

Un de mes lecteurs avait, lors de la publication de mon premier article sur Agathe, réfuté l’origine cistercienne au motif que le diamètre de l’instrument était supérieur à ce que préconisait Cîteaux. Considérant les nombreuses entorses à la règle de l’Ordre que commettaient les abbayes sur lesquelles j’ai travaillé, cet argument ne peut être retenu, surtout si la cloche est le produit d’un acte de donation.

Il reste un détail, lui aussi insignifiant, mais qui ne peut être occulté, évoqué par Robert Gauchery. Après le millésime de la cloche figurent deux lettres:

 

« A : M  »

 

que l’historien interprète comme les initiales d’une dédicace à la Vierge: « AVE MARIA ». Sachant que les monastères cisterciens étaient tous placés sous la protection virginale, ce détail pourrait être le lien que l’on cherche entre notre cloche et l’abbaye des Pierres. Hélas, en observant sur place la totalité de l’inscription dans le bronze, une autre interprétation se dessine. Par comparaison avec le reste du texte, nous voyons que le « A » est identique aux autres de son espèce.

Le « M », lui, est bien un « M », fondu avec le même moule que ses homologues, mais placé à l’envers, produisant un omega minuscule en onciale tout à fait acceptable. Aucune autre empreinte employée par le fondeur ne permettait de produire un alpha, celui-ci n’ayant que des gabarits en lettres gothiques et onciales. L’évocation de Dieu est très claire, ne réfute pas pour autant l’hypothèse cistercienne mais est trop commune à l’ensemble de l’Eglise pour nous éclairer.

Voir la cloche

 

Agathe, comme ses consœurs médiévales ou non, n’a pas été fondue pour être admirée. Il est pourtant possible de la voir grâce à un original système de caméras reliées à une borne interactive disposée devant l’église.

Tous mes remerciements vont à Perrick Boyer et sa collègue, auteurs du documentaire qui inclura prochainement une séquence filmée dans le clocher de Sidiailles, ainsi qu’à madame Florence Lerude, maire de Sidiailles, qui a permis et favorisé l’accès à l’édifice, sans oublier Cédric Parot, sans les encouragements duquel j’ai bien failli renoncer, face aux lois de la gravité.

© Olivier Trotignon 2021

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5 avril 2020 7 05 /04 /avril /2020 20:30

 

En septembre 2019, le musée de Cluny a prêté pour un an au musée de l’hospice Saint-Roch d’Issoudun, dans l’Indre deux pièces extraites de ses riches collections. Il s’agit d’un ensemble exceptionnel de deux châsses ayant appartenu jusqu’à la Révolution à la grande abbaye cistercienne de la Prée, dans la vallée de l’Arnon. Ces deux reliquaires contenaient les restes aujourd’hui disparus de sainte Fauste, sainte fort peu connue dans la région. Produits par les ateliers limousins qui excellaient en matière d’émaillage sur âme de cuivre, ces objets comptent parmi les plus beaux témoignages de cet art si particulier encore visibles dans les collections publiques nationales.

Exposées côte-à-côte dans un coffre transparent éclairé avec beaucoup de justesse, ces châsses se découvrent sous presque tous les angles, et bénéficient d’un guide très complet offert aux visiteurs qui donne une foule de détails sur leur parcours et l’identité des deux saints dont elles accueillaient les ossements.

 

Il n’est bien entendu pas question pour moi de piller ce document. J’attirerai en revanche votre attention sur une observation personnelle qui vient compléter plusieurs constatations faites au cours de mes recherches sur les abbayes berrichonnes, cisterciennes ou non.

 

Ces reliquaires, pourtant authentiques et clairement identifiés, ne cadrent pas avec l’image encore trop souvent promue d’un ordre cistercien détaché de toutes contingences iconographiques. On trouve encore affirmé le dogme d’un ordre religieux voué à la pauvreté, rejetant les couleurs et les images comme distrayantes de la prière et fermé sur lui même. Cette thèse peut-elle être encore soutenue lorsqu’on observe la présence de ces châsses dans le patrimoine de la Prée ? Dès la fin du XIIe siècle, les premiers gisants, dont certains féminins, font leur apparition dans la nef de Noirlac, puis à Fontmorigny, Loroy et probablement au Landais et aux Pierres. A la fin du Moyen-âge, Fontmorigny et Loroy sont des lieux de pèlerinages pour les populations locales.

Ceci signifie t-il que les Cisterciens berrichons ont été une entité déviante ? Nullement, juste que ces religieux ont évolué avec leur temps, et ne sont pas restés figés dans une posture de manuel scolaire.

 

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19 septembre 2018 3 19 /09 /septembre /2018 20:56

L’abbaye du Landais fut, au Moyen-âge, un des quinze monastères cisterciens implantés dans le diocèse de Bourges. Son histoire semble correctement résumée sur plusieurs sites internet. Personnellement, mes recherches m’ayant conduit à travailler sur les fonds d’archives des départements du Cher et de la Creuse, je n’ai eu en main que quelques transcriptions d’actes copiés aux Archives de l’Indre. Je me limiterai donc à un commentaire sur le site du Landais, alimenté par deux visites sur place, l’une en juin et la seconde il y a quelques jours, au moment des Journées du Patrimoine.

 

 

C’est en partie cette deuxième visite qui a motivé l’écriture de ce billet, tant notre déception a été forte en arrivant sur place, induits en erreur par des sources en ligne dont les auteurs ne semblent pas arriver à comprendre qu’il ne suffit pas de recopier sans vérification ce que d’autres ont signé antérieurement pour créer de l’information. Les quelques renseignements recueillis auprès d’un voisin des ruines ont vite eu raison des conseils de visite erronés trouvés plus tôt sur Internet : suite au décès de son propriétaire, qui assurait un point de rencontre régulier avec les amateurs d’architecture médiévale, le monastère est désormais inaccessible et retourne lentement à la friche. Cependant, la partie la plus spectaculaire qui demeure est parfaitement visible de la petite route qui longe l’ancien établissement monastique. Les intérieurs, autrefois visitables, sont, en revanche, désormais inaccessibles.

 

 

Au premier abord, vu le volume des destructions contemporaines, le site est illisible. Ce n’est qu’en comparant les photos satellites avec celles d’autres abbayes cisterciennes régionales comme Noirlac ou Fontmorigny qu’on devine la position des murs qui constituent l’essentiel des restes de l’ancien monastère, vers le chœur de l’abbatiale. Cloître, dortoirs, scriptorium, réfectoire n’existent plus. Toujours en comparant les échelles, on prend la mesure de l’importance que fut celle du Landais. Cette abbaye devait rivaliser, en terme de superficie, avec ses sœurs de la Prée, de Loroy, de Noirlac ou de Fontmorigny. Située au fond d’un large vallon drainé par un ruisseau sur lequel se sont organisés des étangs et des pêcheries, proche d’affleurements d’un beau calcaire parfait pour la taille de pierre, le Landais possédait une alimentation en eau potable, connue sur place sous le nom de « fontaine des moines ». Conformément aux usages de l’Ordre, l’abbaye était éloignée des communautés urbaines locales.

 

 

Objectivement, l’abbaye du Landais est un lieu pour les inconditionnels du patrimoine médiéval, dont la culture permettra de combler les vides immenses et définitifs qui font de cet ancien couvent une ruine en pointillés. J’ose croire que dans quelques années, le temps sera venu de modifier cet article parce que l’endroit aura retrouvé une vie culturelle.

 

 

© Olivier Trotignon 2018

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