La forteresse médiévale de Montrond, à Saint-Amand-Montrond (18) pourrait avoir accueilli une machine de guerre assez perfectionnée à la fin du Moyen-âge. C’est tout au moins ce que peut laisser supposer un micro-toponyme lisible sur l’ancien plan du site. Quelques actes locaux donnent une idée de l’origine de ce château. Le toponyme “Montrond” apparaît pour la première fois en 1217 et paraît couvrir une étendue plus vaste que la simple colline encore aujourd’hui connue sous ce nom. Aucune mention de château n’y est encore faite. C’est une dizaine d’années plus tard, entre 1215 et 1218, que la forteresse est citée pour la première fois “castrum Montis Rotundi” à la fois dans une charte locale et dans une lettre de Renaud de Montfaucon*, alors seigneur de Charenton, dont le domaine intégrait Saint-Amand, au roi de France, pour lui promettre qu’il n’utilisera pas son château contre lui. Rien n’indique que les travaux soient achevés à cette date.
Le château est alors constitué d’une enceinte fortifiée comprenant un donjon, quatre tours, une chapelle castrale et un fossé sec l’isolant de sa basse-cour occupant le reste de la plate-forme au sommet du promontoire naturel. L’évolution du site est mal connue jusqu’à la Guerre de 100 ans. On sait que Montrond sert de prison vers 1270.
Devenue propriété de la famille d’Albret au XVe siècle, la forteresse voit son aspect complètement modifié. L’ancienne basse-cour est garnie de tours dans la continuité de l’ancienne fortification, trois nouvelles tours, dont une protège une citerne, sont accolées à la muraille antérieure près du donjon et un aménagement très curieux est construit autour d’une tour primitive, de section circulaire, dite “Tour de l’émir”. C’est à la fois ce nom, la forme de l’aménagement et la topographie d’ensemble qui ont attiré notre attention. Le terme “Tour de l’émir” est lisible sur le plan du XVIIe conservé à la BNF (voir lien en bas d’article). Sur le terrain, on constate que la tour ancienne a été chemisée par un gros aménagement carré, dont les parements sont identiques aux constructions entreprises par la maison d’Albret. La tour de l’émir est la seule tour carrée de l’édifice et, à ma connaissance, la seule de la région. Elle domine la pente la plus douce de la colline, et occupe donc le flanc le plus vulnérable de l’ensemble.
Les anciens érudits avaient noté l’étrangeté orientale du nom de l’ouvrage, et se sont perdus en considérations sur la personnalité de l’émir qui aurait pu y séjourner, comme invité ou comme prisonnier.
Une autre lecture, plus technique, de ce nom, peut être avancée, tout en étant bine entendu qu’il ne s’agit que d’une hypothèse.
La tour de l’émir ressemble beaucoup aux fortifications musulmanes, comme celles de l’ancienne ville du Caire. Ces tours carrées, surmontées par une terrasse avaient comme fonction de servir de plate-formes à de puissantes machines de jet, dites trébuchets, capables d’expédier à des centaines de mètres toutes sortes de projectiles offensifs et défensifs. La vulnérabilité de la face nord de la colline de, la forme évocatrice des aménagements orientaux et le nom à consonance arabe de l’ensemble laissent penser que le deuxième château médiéval de Montrond a pu être doté d’une puissante machine de guerre en bois capable de couvrir les alentours septentrionaux de la forteresse par des jets de roches (faciles à ramasser et à stocker eu prévision d’un conflit) particulièrement meurtriers pour des assaillants. L’importance du réaménagement du site par les d’Albret montre le soin que ceux-ci ont mis à réarmer l’ensemble. Une grosse machinerie de guerre, insolite sous nos climats mais employée dans d’autres châteaux français contemporains, n’aurait pas de quoi surprendre.
*Renaud de Montfaucon devient seigneur de Charenton par mariage avec la fille du dernier représentant de la lignée des Ebe de Charenton (les numéroter comme certains le font - “Ebbes VI” - n’a aucun sens, et est anachronique), Maoz , qui lui apporte en dot l’une des plus puissantes entités féodales du Berry du Sud. Devant la menace que représente l’extension de la seigneurie de Châteauroux à l’ouest des domaines charentonnais, on peut supposer que le château de Montrond est un élément déterminant de la géopolitique régionale, comme matérialisation de la frontière entre les deux grandes maisons féodales.
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