On a parfois du mal à concevoir certaines évolutions économiques qui ont plongé des cités naguère prospères dans un quasi anonymat, étouffées par la vigueur d’une de leurs voisines. C’est le sort que connut la ville fortifiée de Bruère-Allichamps, bien située au contact entre la plaine de Bourges et la grande seigneurie de Charenton, qui demeura malgré ses atouts économiques une simple ville forteresse sur la route du sud au nord, alors que Saint-Amand, toute proche, dynamisée par la construction du château de Montrond et par son interface entre la Bourgogne et le Berry déolois, se développait plus rapidement et devenait le centre de gravité économique et politique des environs.
Le Bruère médiéval ne manquait pas d’atouts, en premier lieu sa position-clé sur le nouvel axe routier longeant la rive gauche du Cher, prolongeant l’ancienne voie antique Bourges-Néris en direction de Saint-Amand après l’abandon du gué d’Allichamps. Choisi par les peuples de l’Antiquité pour la logique de son tracé évitant les accidents de relief sur la rive droite de la vallée du Cher, l’ancien chemin franchissait la rivière tout près du prieuré d’Allichamps et se dirigeait vers Montluçon, passant par des futures villes et villages tels que Ainay-le-Vieil, La Perche, Epineuil et Vallon.
Deux facteurs firent basculer cette situation au XIIe siècle: la fondation de l’abbaye de Noirlac et le développement de Saint-Amand autour de son premier château de bois. Ces nouveaux centres d’activité économique condamnèrent l’ancienne route et les voyageurs empruntèrent désormais un chemin passant au pied du rempart de Bruère, devant l’abbaye de Noirlac (dont l’isolement dans la nature fut somme toute relativement bref) et par la “Porte de Bourges” en entrant dans Saint-Amand. Bruère devint alors un lieu capable de profiter des bienfaits de la circulation des hommes et des marchandises pour faire propérer son économie, mais dut aussi en assumer les conséquences sanitaires: un hôtel-Dieu et une léproserie sont fondés dans son environnement immédiat, comme dans tous les grands lieux de passage de l’époque.
Spirituellement, les alentours de Bruère étaient très riches. En plus de l’abbaye de Noirlac, on se souviendra de la présence du prieuré d’Allichamps, dépendant de l’abbaye de Plaimpied, de l’église de La Celle, auquel était attachées les reliques d’un saint thaumaturge, saint Sylvain et d’une commanderie templière qui devait être d’une certaine importance si l’on en juge de l’ancien nom de Bruère, qualifié de “Bruère-du-Temple” dans les chartes du XIIIe siècle. Un autre prieuré, sur lequel on manque d’informations, est évoqué à La Celle par le testament de Renaud de Montfaucon ainsi qu’une autre commanderie du Temple à Farges, sur l’autre rive du Cher.
Il reste à savoir qui prit l’initiative de fonder Bruère ou, à défaut, d’avoir fortifié le hameau antérieur. L’Histoire est muette sur ce sujet mais l’écho de cet événement est assez lisible pour proposer, logiquement, une origine charentonaise. Le testament de Mathilde de Charenton cite des droits féodaux sur le four banal et les foires de Bruère, faisant partie de son legs testamentaire au profit de Noirlac et de l’église de Bruère. On peut supposer qu’un de ses ancêtres, certainement le fondateur de Noirlac, s’est assuré la maîtrise de ce verrou d’accès à ses domaines méridionaux en le plaçant sous la sauvegarde d’un de ses officiers. En 1266, on remarque que le seigneur de Sully, qui a profité du démembrement de la seigneurie de Charenton après la mort de Renaud de Montfaucon pour augmenter son patrimoine dans le sud du Berry a placé à la tête de la ville un bailli.
Je ne me permettrai pas de me substituer aux habitants de Bruère, qui assurent une belle promotion de leur village, souvent injustement méconnu mais seulement me contenterai-je d’appuyer leurs initiatives en faveur de la connaissance de leur patrimoine en invitant les lecteurs de ce blog à prendre le temps de découvrir les murailles, tours et autres maisons et portes médiévales de cette antique cité fortifiée.