Profitant des précipitations exceptionnelles de ces derniers mois, je suis passé prendre quelques vues de plusieurs restes d’anciennes forteresses de terre et de bois dans le sud du département du Cher, dans l’espoir que les pluies auraient gonflé leurs fossés et donné un peu de relief à des ensembles difficiles à photographier en temps ordinaire. Fidèle aux principes de ce blog, je ne donne aucun repère pour permettre de les localiser afin de ne pas encourager les visites malveillantes...
Le site n°1 se présente sous la forme d’un retranchement fossoyé sans élévation artificielle. Ses concepteurs ont creusé un fossé profond alimenté par un ruisseau qui collecte les eaux de ruissellement sur un périmètre extrêmement difficile à évaluer à cause des bois qui entourent le lieu. La terre retirée des douves a été déposée non pas à l’intérieur du dispositif pour élever sa plate-forme, comme pour une motte castrale, mais vers l’extérieur. Un bourrelet défensif, certainement palissadé à l’origine, constituait un premier obstacle.
Le site n°2 est bâti sur le même principe, avec une nuance intéressante. Le lieu est très humide. Le choix a porté sur des fossés plus larges que profonds, remplis par un ruisseau permanent. Pour une raison inconnue, l’alimentation était interrompue cet hiver. Cet aménagement particulier produit une forme défensive étrange, où la superficie de l’aire habitée est de moitié inférieure à celle de ses douves. Là aussi, la terre excavée a été jetée à l’extérieur.
Visuellement, ces forteresses, de plain-pied avec les terrains alentours, sont peu spectaculaires et peuvent échapper à l’attention d’un chercheur passant à quelques dizaines de mètres.
L’absence programmée de motte révèle un choix architectural particulier. Nous ne sommes pas sur les ruines d’anciens donjons féodaux, mais de maisons-fortes. En l’absence de données archéologiques, il est très difficile d’estimer leur surface au sol et leur hauteur, mais la rareté des ruines et des tuiles oriente vers des constructions de bois avec couverture végétale possible (des bardeaux de chênes peuvent résister très longtemps à la pluie). Des fouilles menées sur d’autres sites ont permis de conclure que ces habitations n’étaient pas à proprement parler des châteaux, même si certains lieux ont pu évoluer avec le temps en véritables petites forteresses de pierre, mais des grosses maisons très solides, capables de résister à un coup de main hostile grâce à un armement adapté.
Si je n’ai rien trouvé de précis, à part une allusion au XVIe siècle concernant le site n°1, le site n°2 est mieux repéré dans la documentation régionale et plusieurs actes conservés aux archives du Cher montrent qu’il était la propriété d’une famille de chevaliers et damoiseaux au début du XIIIe siècle. Un testament de 1375 parle du “lieu et manoir de X”.
Ces dates concordent avec ce qu’on observe ailleurs. Ces maisons-fortes semblent s’élever à la lisière des grandes seigneuries à un moment ou la croissance démographique permet une exploitation de l’ensemble des terres cultivables. Une petite féodalité rurale prend racine sur des domaines agricoles dont elle fortifie l’assise avec de grosses maisons de bois capables de garantir un minimum de sécurité contre des bandes de pillards toujours à craindre. Les propriétaires sont issus d’une chevalerie rurale probablement de faible extraction, ce qui ne les empêche pas d’avoir des rapports avec les abbayes locales, dont les archives ont conservé leurs noms.
Il est difficile de savoir comment et pourquoi elles ont disparu. On observe toutefois que si la fonction défensive s’est fondue dans le temps, il reste des signes de leur activité agricole primitive: des fermes sont encore exploitées à proximité des vestiges et aucune maison-forte n’est totalement isolée dans la nature.
© Olivier Trotignon 2013