Il y a longtemps que je comptais présenter ici un site archéologique d'une nature particulière, dont l'observation permet de nuancer certaines idées reçues sur les mottes féodales. J'ai profité ces derniers jours de conditions d'ensoleillement favorables pour aller prendre quelques photos d'un ensemble sur lequel je tiens à rester discret. Même si nul n'est propriétaire de l'Histoire, le bois dans lequel je me suis introduit est la propriété de quelqu'un de peu conciliant, qui nous avait interdit, il y a quelques années, par lettre recommandée, d'accéder à son bien pour les journées du Patrimoine, lorsque je coopérais avec l'Office de tourisme de Vesdun. L'autre crainte est d'y attirer les prospecteurs clandestins qui épluchent régulièrement ces lignes, si j'en juge la formulation des requêtes qui permettent d'accéder à ce blog.
J'appellerai donc cet endroit "le Bois", ce qui n'est pas très original mais bien suffisant pour ce qui nous intéresse.
Le Bois, donc, se trouve situé dans le tiers sud du département du Cher, non loin d'une voie antique sur laquelle le trafic s'est poursuivi pendant toute la période médiévale et même au delà. Il n'est pas complètement isolé, au moins deux châteaux et deux maisons-fortes se trouvant dans un rayon de cinq kilomètres de ses fossés.
Les photographies que j'en ai ramené manquent de relief à cause du faible contraste dû à la végétation, et seul, il n'est pas facile de prendre des mesures et de faire un croquis de situation, mais au sol, on perçoit des vestiges très curieux. Le site s'organise comme un ensemble classique motte et basse-cour, à la nuance près que le retranchement seigneurial n'est pas une motte, mais une sorte d'enceinte trapézoïdale en partie cratériforme. Des fossés délimitent ce retranchement, mais, à part la terre issue de leur terrassement disposée en anneau autour de terre-plein central, aucun apport significatif de remblais extérieur, comme sur les grosses mottes castrales de la région, n'a eu lieu.
A quelques mètres, avec juste le fossé entre les deux s'étend ce qui peut être vu comme une basse-cour de plusieurs centaines de mètres-carrés conçue sur le même principe (fossé défensif et bourrelet de terre intérieur) mais avec plus de détails apparents. On relève par exemple des reste de murs d'enceinte en pierre sèche, des formes géométriques sur le sol (maisons? silos? chapelle?) et le reste d'un puits de pierre sèche assez bien conservé. A quelques pas se trouve une petite carrière de pierre qui est peut-être le lieu d'où ont été extraits les matériaux de construction. D'autres formes régulières, d'anciens fossés, apparemment, sont visibles plus loin dans le sous-bois mais seul, il n'est pas possible de faire un balisage efficace du périmètre.
Le site du Bois n'a jamais été fouillé et ne peut être daté avec précision. Toutes les apparences le rattachent au premier âge féodal, qui domine le XIe siècle et je n'ai trouvé aucune trace de son existence dans les quelques archives dont on dispose, ce qui laisserait penser qu'il avait été abandonné au XIIIe siècle, mais les arguments sont très approximatifs. Des micro-forteresses de terre et de bois conçues sur les mêmes principes existent encore à la guerre de 100 ans. L'absence de motte peut être interprétée comme l'indice que ce village n'était pas aux mains d'un chevalier, ce qui complique encore son identification dans les textes médiévaux. Rien n'explique son abandon. L'étude des cadastres et des photographies aériennes montre que beaucoup de bourgs actuels se sont développés à partir d'une base défensive comparable aux vestiges du Bois. Dans le cas qui nous intéresse, le bourgeon initial n'a pas évolué, ce qui rend d'autant plus précieux ce genre de vestige car, bien fouillé, il pourrait nous documenter sur des structures paléo-urbaines bouleversées presque partout ailleurs.
Les gens du Bois ont-ils été victimes d'événements malheureux ou tout simplement ont-ils émigré vers un village plus prometteur? Disons juste que le lieu où ils ont vécu reste plein de promesses pour leurs (lointains) descendants.