Je voudrais dédier ces lignes à tous les lecteurs fidèles de ce blog qui ne pourront être présents demain à l’après-midi conférences sur l’Ordre cistercien en Berry, à Mehun-sur-Yèvre. J’ai prévu d’y développer une hypothèse inédite sur l’origine d’une des plus célèbres abbayes cisterciennes des régions du Centre: le monastère de Noirlac.
L’histoire de la fondation de Noirlac n’a plus de secrets pour nous. Plutôt que d’en produire un mauvais résumé, je vous encourage vivement à vous procurer l’excellent article de mon confrère Pierre-Gilles Girault: “Robert de Châtillon, saint Bernard et les débuts de l’abbaye de Noirlac” paru dans les actes du colloque L’Ordre cistercien et le Berry, Cahiers d’Archéologie et d’Histoire du Berry, décembre 1998
Pierre-Gilles y détaille, de manière très fouillée, les premiers pas des Cisterciens dans cette partie de la vallée du Cher et, à moins d’une révélation documentaire inédite, on voit mal ce qui pourrait remettre en cause ses conclusions.
Pour ma part, je me suis intéressé à certains détails curieux et non résolus de l’histoire primitive de Noirlac.
Le site, tout d’abord, choisi par saint Bernard pour y installer des frères de son ordre: l’abbaye n’est pas là où on aurait pu l’attendre. Noirlac est riveraine de la route qui conduisait de Bourges à Saint-Amand-Montrond. Des voyageurs frôlaient sa clôture peut-être quotidiennement. Les sons d’au moins deux ou trois clochers venaient troubler son silence les jours de temps calme: l’église et le village de Nozières sont visibles du site et Saint-Amand et Orval sont à à peine une heure à pied. Plusieurs auteurs se sont efforcés de justifier que ce lieu était propice à la prière. Par comparaison avec les autres monastères de moines blancs berrichons, Noirlac est dans une situation clairement marginale.
Le nom même de l’abbaye pose problème. Le toponyme Noirlac est tardif (Narlac en 1218) et correspond au nom du site, qui n’est pas éponyme aux débuts du couvent. Le nom retenu par les moines est Domus-Dei super Carum, que tout le monde traduit, par habitude, en Maison-Dieu-sur-Cher. Or, Noirlac n’est pas à proprement parler sur le Cher, mais sur un de ses bras. En plus, si on confie la traduction à n’importe quel latiniste qui ne connaît pas le contexte culturel régional, il restituera le nom médiéval en Hôtel-Dieu-sur-Cher, ce qui n’a plus du tout la même connotation.
Je proposerai donc demain une clé de résolution de ces anomalies en m’appuyant sur le contexte politique et économique de la région au XIIe siècle. J’ai modifié une carte IGN pour rendre plus lisible la situation.
Vers 1100, la région de Noirlac connaît des transformations engendrées par l’expansion de la seigneurie de Charenton. Saint-Amand devient une place économique active, à l’écart de l’ancienne voie antique qui franchissait le Cher au lieu-dit Allichamps, poursuivait par un itinéraire à préciser vers Orval (pointillés noirs) puis continuait vers le sud. Au XIe, ce vieux chemin perd de son intérêt. La route venant de Bourges se détourne par Bruère, Saint-Amand (trait plein noir) et retrouve son axe primitif entre Orval et Saint-Amand (trait rouge). Le gué d’Allichamps tombe en désuétude.
Je propose de calquer ce plan sur l’histoire des origines de Noirlac. Un hôtel-Dieu a pu être actif, comme beaucoup d’autres en France, au bord du Cher, au gué d’Allichamps. Voyant les voyageurs poursuivre leur route par un autre chemin, l’hôpital aurait été se fixer quelques kilomètres plus au sud, dans un lieu nommé Noirlac. Attentifs au message cistercien, ces frères hospitaliers se seraient réformés au cours du XIIe siècle, devenant les premiers moines blancs présents sur place vers 1135, assurant la charnière avec l’abbaye en gestation.
Ce schéma explique les anomalies sur le site, le nom, et est compatible avec ce que les sources nous apprennent sur les débuts de Noirlac.
Nous connaissons au moins deux établissements réformés dans le même ensemble géographique, et non des moindres: Bellaigue, en Combrailles (anomalies identiques à celles de Noirlac dans le paysage) et Fontmorigny, la plus grande abbaye cistercienne du diocèse, toutes deux anciens monastères bénédictins réformés.
Vos questions sur le sujet seront les bienvenues demain.
© Olivier Trotignon 2013