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15 février 2022 2 15 /02 /février /2022 11:50

Mise en valeur dans les programmes scolaires, la période des Lumières semble avoir été le fait de grands esprits laïcs pré-révolutionnaires. Souvent totalement passés sous silence, des savants religieux ont produit un travail en tous points remarquable sur lequel l’historien peut s’appuyer en toute confiance pour accéder à des informations utiles à la connaissance du terroir qu’il étudie.

Il y a plusieurs années, j’avais rédigé l’article qui suit pour le compte de la regrettée revue Berry magazine, compte non soldé car la dite revue n’a jamais pensé à me dédommager pour sa composition. N’en ayant donc jamais, à mon grand regret, cédé les droits, je vous le propose, légèrement revu et corrigé, en libre lecture.

Les tribulations d'un savant bénédictin en quête d'informations sur l'histoire religieuse du diocèse de Bourges.

Un enquêteur d'exception

Né au Puy-en-Velay, Jacques Boyer manifeste dès l'enfance un don pour les études, qui le conduit à prononcer ses vœux parmi les Bénédictins. Expert en paléographie latine et passionné par les recherches, ce serviteur de l'Histoire est très tôt pressenti par la hiérarchie bénédictine pour collaborer à un immense chantier d'érudition entrepris autour de l'histoire du Christianisme en France, rédigé sous forme d'un ouvrage collectif qui demeure aujourd'hui une référence pour les chercheurs, la Gallia Christiana.

En 1710, il quitte son monastère pour un long voyage à travers les provinces françaises, visitant les monastères, collectant des traditions orales, recopiant des textes anciens, et envoyant, lorsque l'occasion se présente, ses notes à Paris aux rédacteurs de la Gallia. Ayant momentanément terminé son exploration des archives auvergnates, il arrive dans le diocèse berruyer en mars 1711.

 

Le carnet de voyage de Dom Boyer

S'il reste peu de trace de sa correspondance avec les savants parisiens, le journal de voyage du père Boyer a été en grande partie conservé et publié à la fin du XIXe siècle (note). Rédigé suivant la chronologie des déplacements du religieux dans les provinces, cet ouvrage n'était pas à l'origine destiné à être lu par le grand public. Son auteur y note donc très librement un foule de petites remarques sur ses conditions de voyage, sur les gens qu'il rencontre ou sur la façon dont il est reçu par ses hôtes. Ses pages fourmillent donc de détails de la vie quotidienne pris sur le vif. Quittant Saint-Pierre-le-Moûtier pour Nevers, le moine découvre trois hommes suppliciés, deux roués et un pendu, sur le bord de la route. Sobrement, il remarque que "la justice de St-Pierre est extrêmement exacte". Arrivé à Bourges en avril, il est témoin de la montée des eaux de l'Auron, qui inonde les prés de Chape et consigne que, inquiet du déluge qui s'abat sur la ville depuis plusieurs jours, l'archevêque ordonne neuf jours de procession pour demander le beau temps. Passant le Cher à Saint-Florent le 19 mai, il s'étonne de la longueur du pont qui enjambe la rivière et relève les stigmates de la crue de 1707, qui avait emporté une partie des arches. A Chezal-Benoît, où il réside plusieurs semaines, c'est une marche d'escalier, qui brille faiblement la nuit, qui attire son attention.

Dom Boyer cite le nom des auberges où il dîne - le Cheval blanc à Moulins, le Bœuf couronné et l'Écu, à Bourges, le Dauphin à Issoudun, le surnom d'un moine, dit "la Toise", à cause de ses presque deux mètres de taille, ou détaille le plaisir qu'il a eu à bien manger ou à écouter de beaux sermons.

L'itinéraire suivi par le savant ignore une grande partie de la province. En mars 1711, Jacques Boyer est en Bourbonnais et rencontre les communautés monastiques de Chantelle, Izeure, Saint-Menoux et Souvigny. Après avoir passé une semaine en Nivernais, il arrive le 8 mai à Bourges où il demeure presque un mois. Son séjour dans la cité lui offre de multiples occasions de rencontrer l'archevêque et de nombreuses personnalités religieuses locales comme les abbesses de Bussière et de Saint-Laurent, et de visiter des monuments comme la crypte de la cathédrale, l'hôtel-Dieu ou le couvent de l'Annonciade.

Le 19 mai, il prend la route de Chezal-Benoît, monastère de son Ordre, où il réside partiellement jusqu'au début juin. Il profite de son séjour à Chezal pour visiter Bommiers, l'abbaye de la Prée et rédige un compte-rendu très détaillé de son expédition jusqu'à l'abbaye cistercienne des Pierres, 40 kilomètres plus au sud. Le 6 juin, il se dirige vers Vierzon, qu'il atteint par le port de Lazenay. De Vierzon, où il réside jusqu'au 20 juin, il se rend, franchissant le Cher à Langon, jusqu'à l'abbaye d'Olivet, qui représente l'extrémité septentrionale de son voyage en Berry. Après être revenu à Chezal-Benoît par Issoudun, puis à Bourges, il retourne sur ses pas le 21 juillet. Passant par Etrechy, il retrouve la Charité-sur-Loire, Nevers, Souvigny au début du mois d'août avant de franchir les portes de l'Auvergne.

Jamais, dans ses notes personnelles, le religieux n'exprime les raisons qui l'ont mené à négliger de poursuivre sa quête de documents dans la majeure partie du diocèse. Ce manque de curiosité pour les archives de dizaines d'abbayes des actuels départements de l'Indre et du Cher, pourtant dûment référencées dans la Gallia Christiana, confirme que d’autres savants parisiens sont venus en Berry collecter les informations indispensables à la rédaction de leur encyclopédie du Christianisme en France. On connaît, entre autres, les comptes-rendus de Dom Estiennot, en particulier après sa visite de Noirlac. D'éminents latinistes locaux étaient peut-être associés à cette tâche, et de nombreux frères bibliothécaires ont sans doute été sollicités par les Bénédictins pour fournir des copies d'archives anciennes, confiées aux bons soins de voyageurs en partance pour Paris, comme Dom Boyer en rencontre tout au long de son voyage.

 

Un éclairage irremplaçable sur des lieux disparus

Observateur avisé et indépendant des lieux qu'il visite, le père Boyer décrit avec une certaine finesse des monuments du patrimoine régional aujourd'hui disparus, révélant parfois, sans s'en douter, des contradictions entre sa propre mesure des choses et des traditions orales sur lesquelles certains érudits se sont appuyés pour écrire l'histoire de communautés monastiques locales. Inversement, des études récentes permettent d'évaluer l'honnêteté de certains récits qu'il recueille lors de son enquête. Le récit de son crochet jusqu'à l'abbaye des Pierres, à la limite entre le Cher et la Creuse est, à ce titre, particulièrement significatif.

Le premier juin 1711, Dom Boyer, résidant dans la communauté bénédictine de Chezal-Benoît, part, en compagnie d'un de ses hôtes, en direction du sud. Les deux hommes passent par Lignières, Saint-Hilaire, Orsan et le Châtelet, suivant un axe destiné à devenir un jour la départementale 85. Après s'être restaurés à l'abbaye de Puyferrand, les deux bénédictins poursuivent leur chemin en direction de l'abbaye des Pierres, traversant le village de Saint-Maur puis coupent à travers la campagne, évitant la ville de Culan, dont il n'est pas fait mention, pour rejoindre le cloître cistercien. Sitôt sur place, Dom Boyer note que les Pierres sont "un lieu bien affreux et presque inabordable", peut-être influencé par l'ancien toponyme de "Val horrible", que les gens de la contrée accordaient au ravin au bord duquel le monastère était construit. Le moine, venu chercher dans les papiers de l'abbaye une liste d'abbés, déplore la maigreur de la documentation qu'on lui soumet, attribuant les lacunes du chartrier aux ravages des Protestants lors des Guerres de religion. Toute la région avait, en effet, été la proie d'une bande huguenote, attachée à l'armée du duc de Deux-Ponts, en 1569 et plusieurs monastères avaient eu à souffrir, avec plus ou moins de gravité, de ses exactions. Curieusement, le pillage de 1650, tout aussi grave, des Pierres par les troupes catholiques du Grand Condé, lors des troubles de la Fronde, est passée sous silence. Cette mémoire sélective des graves événements vécus par la communauté dans les décennies précédentes s'explique peut-être par la brièveté de l'étape cistercienne du savant qui repart, le soir même, pour le prieuré d'Orsan.

De toutes les notes prises par le savant lors de ses quatre mois passés à explorer les fonds documentaires régionaux, ce sont probablement celles consignées lors de sa visite du monastère d'Orsan qui sont les plus instructives pour l'historien. Orsan présentait autrefois plusieurs particularités. Fondée au début du XIIe siècle par Robert d'Arbrissel, abbé de Fontevraud, cette communauté, dirigée par des femmes, avait vu mourir dans ses murs son fondateur. Son cœur, soustrait à sa dépouille mortelle rendue à Fontevraud, avait été conservé sur place dans une chasse de plomb déposée dans une pyramide élevée dans la chapelle prieurale. La relique, profanée par les Protestants lors des mêmes événements dont les Pierres avaient eu à souffrir, dut à la bienveillance de quelques paroissiens de ne pas être perdue. Pyramide brisée, le cœur de Robert d'Arbrissel fut sauvé de justesse. Réputé miraculeux, cet objet de piété populaire permit même l'ouverture d’une enquête sur les vertus des restes du Bienheureux Robert, qui demeure notre principale source d'informations sur les événements ayant bouleversé Orsan. Ce pillage huguenot fut-il si terrible qu'on le lit en général? Il est permis d'en douter en parcourant les notes prises sur place par Jacques Boyer.

Le savant note tout d'abord l'architecture des voûtes de la chapelle, aujourd'hui démolie, s'étonnant de l'originalité de leur forme en cul-de-lampe, comparable à celles des églises de Saint-Pierre d'Angoulême ou de Souillac, dans le Lot. Puis, découvrant le mobilier de la chapelle, il décrit le reliquaire pyramidal, intact et signale la présence des tombes d'Adalard Guillebaud, le seigneur à l'origine de la fondation d'Orsan et de Léger, archevêque de Bourges et ami proche de Robert d'Arbrissel. Visitant le prieuré, il admire la qualités des boiseries, parcourt les archives et se fait même présenter l'anneau et le sceau de Léger, trouvés dans sa tombe ainsi que quelques ornements de métal ayant appartenu à sa crosse.

Ce sont ces observations qui sont les plus instructives. Au lendemain du passage des Protestants, Orsan avait été décrit comme ravagé et les commentateurs n'avaient pas économisé les remarques déplorant l'étendue du saccage. Or, un siècle et demi après les événements, le moine découvre un monastère intact, dont les tombes n'ont pas été profanées et pillées, qui a conservé ses parchemins les plus anciens, et où personne ne parle plus, contrairement aux Pierres, du prétendu pillage. Même le cœur de Dom Robert, comme on l'appelait alors, a retrouvé sa place dans sa petite pyramide restaurée. Le témoignage de Jacques Boyer permet donc de tempérer les doléances des catholiques du XVIe siècle, qui, traumatisés par les horreurs subies par la région, avaient exagéré la portée des événements qu'avait eu à subir le petit couvent berrichon.

Fort de ses observations, mais pressé par le temps, le bénédictin retourne à Chezal-Benoît, avant de poursuivre son voyage dans le nord de la province.

 

Dom Boyer revint quelques années après son périple en Berry finir sa vie parmi ses frères de Chezal-Benoît. Vers 1850, les sociétés savantes locales ne constatent plus que ruines à Orsan et à l'abbaye des Pierres. De nos jours, si Orsan a trouvé un nouvel éclat, il ne demeure sur place plus aucune trace du patrimoine admiré il y a 300 ans par le savant latiniste. Quant aux Pierres, seules quelques ruines informes achèvent de s'effacer dans la végétation.

 

(note) Journal de voyage de Dom Jacques Boyer, publié et annoté par Antoine Vernière, 537 pages, Clermont-Ferrand 1886

 

© Olivier Trotignon 2022

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26 décembre 2021 7 26 /12 /décembre /2021 09:48

Le massif forestier de Tronçais, dans le département de l’Allier a, depuis très longtemps, acquis une réputation qui a largement dépassé les frontière du Bourbonnais. L’article qui suit n’ajoutera rien à sa large renommée. La forêt a été, et est encore étudiée par des archéologues et des historiens modernistes et contemporanistes, qui s’appuient sur des découvertes au sol et sur des archives publiques. Dans ces deux registres, l’époque médiévale est très mal documentée et c’est, paradoxalement, à l’extérieur du massif que se trouvent les indices les plus significatifs qui permettent de tenter une projection de ce qu’à pu être ce territoire des Gallo-romains à l’époque moderne.

A ma connaissance, l’acte le plus ancien faisant mention de Tronçais date de mai 1216. Rédigé à Chantelle, il témoigne de l’accord passé entre Archambaud de Bourbon et son vassal Pierre des Barres. La forêt est explicitement citée : « nem(oris) de Truncia » et « nemus quod vocatum Trossa ». Les deux féodaux partagent leurs droits sur la forêt ainsi que sur la ville et châtellenie de Cérilly. On apprend que le chevalier des Barres possède des hommes à Coust ainsi que des maisons à Ainay (le-Château) et à Meaulnes. En 1246, le chevalier Jean de Meaulnes déclare rendre hommage à l’archevêque de Bourges pour des droits situés entre Ainay et Charenton. Le point commun entre ces deux documents n’est pas tant la forêt elle-même que les lieux cités, tous extérieurs au massif. L’inventaire du patrimoine bâti recoupe cette observation. A part le tureau de Châtelus et le petit prieuré de la Bouteille, la forêt est vierge de vestiges médiévaux, alors que ses lisières comptent plusieurs forteresses et églises : Ainay-le-Château, la Bruyère-l’Aubespin, Urçay, Chandon, la possible maison templière de Braize (aucune source contemporaine ne fait état de son existence)...la liste est longue et prouve de manière irréfutable que Tronçais était déjà un désert forestier bien avant que l’administration royale ne s’intéresse à la qualité de ses bois.

Pourquoi Tronçais a t-elle échappé à la vague de défrichements qui modifient les paysages médiévaux ? Plusieurs hypothèses, pas forcément concurrentes, peuvent être avancées. La faible qualité des sols, l’absence de cours d’eau à fort débit pour entrainer des moulins, des pentes importantes n’en font pas un lieu idéal pour l’agriculture.

On remarque de plus que la présence monacale est très réduite dans ce secteur. A part le petit prieuré de la Bouteille et son enclave, il est significatif qu’aucune communauté religieuse (si on exclu l’hypothèse d’un monastère colombaniste à Isle-et-Bardais aux temps paléo-médiévaux ) ne se soit établie proche de Tronçais. J’y verrais la signature soulignée du prieuré clunisien de Souvigny, qui semble avoir empêché d’autres ordres monastiques de se fixer dans la région, lui-même n’ayant que faire de cette forêt.

La pauvreté du peuplement local joue aussi sans doute un rôle, le besoin de terres n’étant pas impérieux.

J’observe aussi que le pouvoir des Bourbons était très peu délégué, dans la région, à des vassaux, souvent très actifs, ailleurs dans la région, sur le front des défrichements.

La relation entre les seigneurs de Bourbon et cette partie de leurs domaines n’est qu’hypothèses. Utilisent-ils la forêt pour son bois et comme terrain de chasse ? Il est impossible de répondre. Tronçais semble une parenthèse entre les ville forte et forteresse d’Ainay-le-Château et la région de Bourbon.

Cette étendue forestière est peut-être même un handicap pour Bourbon. Une troupe ennemie déterminée pouvait progresser à couvert et s’enfoncer assez profondément dans les terres bourbonnaises avant que l’alerte soit donnée.

Il est impossible de prédire ce que de nouvelles découvertes archéologiques, prévues ou fortuites pourraient amener dans la connaissance du massif de Tronçais à l’époque médiévale, mais il faut sans doute s’attendre à peu de résultats dans ce domaine.

 

 

© Olivier Trotignon 2021

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22 avril 2021 4 22 /04 /avril /2021 09:41

 

Je me souviens encore, alors que nous effectuions des prospections sur le tracé de la future autoroute A 71, au début des années quatre-vingt, du retour au camp de base d’une de nos équipes: une motte féodale avait été découverte et un tel évènement avait de quoi mettre en liesse notre petite communauté d’archéologues. Ce n’est que bien plus tard qu’il me fut donné de constater que l’enquête bibliographique préalable aux visites sur site avait été réalisée avec une certaine légèreté par ce qu’on appelait encore la Direction des Antiquités Historiques du Centre (ancêtre de la DRAC): la motte des Grands Fossés avait été identifiée presque cent ans plus tôt et était visible autant sur le cadastre napoléonien que sur les photographies aériennes des années cinquante.

 

Je suis retourné voir cette motte qui m’avait laissé le souvenir d’un site atypique.

La butte médiévale est érigée sur une pente de terrain très faible, mais suffisante pour récolter des eaux de ruissellement propres à garder humides ses fossés. Ce modèle est connu sur d’autres ouvrages défensifs locaux (mottes et maisons-fortes). Sa plate-forme est curieusement concave, marquée par la trace d’une excavation assez récente (sans doute consécutive à une recherche de trésor). Il est possible que l’assise de l’ancien donjon se soit tassée avec le temps, produisant cet effet de cuvette assez déroutant.

 

 

 

La seule activité qu’on y constate est la présence de sangliers qui utilisent ses fossés pour se souiller.

La fonction primitive de cette motte reste à définir. Le cadastre et les photos d’altitude ne révèlent aucune structure annexe, comme une basse-cour. Les fermes voisines sont à portée de vue, mais aucune n’est vraiment proche du site (cette situation s’observe dans d’autres communes du secteur). Enfin, même si la région est assez bien documentée, je n’ai mis en évidence aucune relation entre ce lieu-dit et la hiérarchie féodale locale.

La solution est peut-être à chercher autour de ces anciens chemins, encore visibles sur les premières photos aériennes et victimes du remembrement. Nous savons que la région  était assez active aux XIIe-XIIIe siècles: plusieurs seigneurs, prieurés et granges cisterciennes sont connus dans un périmètre proche. La hiérarchie qui a pris l’initiative d’investir ses deniers dans une petite forteresse aux Grands Fossés avait peut-être un objectif plus économique que militaire.

 

© Olivier Trotignon 2021

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30 mars 2021 2 30 /03 /mars /2021 10:18

Le site internet des Archives départementales de la Creuse donne accès à plusieurs excellents outils de recherche en Histoire médiévale, parmi lesquels plusieurs cartulaires d’abbayes marchoises.

Même si ces monastères étaient établis dans l’aire du diocèse de Limoges, la lecture de leurs actes peut se révéler très instructive pour comprendre les liens qui existaient entre la Marche limousine et le Berry.

Le très riche cartulaire de l’abbaye cistercienne de Bonlieu permet de prendre note de l’existence de plusieurs granges appartenant à ce monastère dans la proche région de Montluçon, particulièrement dans les paroisses d’Huriel et de Domérat. Un autre texte signale une propriété des Cisterciens creusois dans l’actuelle commune de Premillat. Si on feuillette l’ensemble du document, on constate que les seigneurs de Montluçon et d’Huriel ont participé à la constitution du temporel des moines de Bonlieu.

Inversement, on retrouve dans les chartes de Bonlieu les noms de plusieurs seigneurs de la Marche ayant eux-mêmes été impliqués, comme donateurs ou comme témoins, dans la restauration du prieuré de la Chapelaude, propriété de l’abbaye de Saint-Denis, et dans la dotation en droits et en terres de l’abbaye cistercienne des Pierres, ces deux établissements étant du diocèse de Bourges.

 

La vallée du Cher vue du donjon d'Huriel

 

Dans de précédentes recherches, il m’a été donné de constater un fort tropisme des féodaux du sud du Berry en direction du nord de l’actuel Limousin (dans ses limites administratives). Les Berrichons du Sud, à égale distance et sans relations d’homme-à-homme affirmées, sont plus présents, à partir du XIe siècle, en Marche que dans l’ensemble du territoire soumis à l’autorité des archevêques de Bourges. L’origine de ces liens pourrait être linguistique. La Marche, jusqu’à une date très récente, était un espace où se parlait une langue différente de l’Occitan, dont on perçoit des bribes dans certains actes médiévaux de Bonlieu. Il est bien possible que dans le Montluçonnais, la haute vallée de l’Arnon et une partie du Berry du Sud, on se soit exprimé en Marchois plus souvent qu’en Français à l’époque des Croisades.

 

note: les vestiges de l’abbaye de Bonlieu sont une propriété privée et ne sont pas libres d’accès.

 

© Olivier Trotignon 2021

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23 décembre 2020 3 23 /12 /décembre /2020 11:09

La période compliquée que nous vivons, et les restrictions de circulation de ces derniers mois ne m’ont pas permis d’aller sur le terrain ou aux archives pour rechercher de nouveaux thèmes à publier. Aussi me contenterai-je d’évoquer une légende pseudo-médiévale qui a circulé pendant de longues années dans le secteur où j’ai grandi: la Table des trois seigneurs.

A l’époque où j’ai commencé à m’intéresser à l’Histoire, locale en particulier, je récoltais avec plaisir toutes les anecdotes sur le passé de ma région, fondées ou non. L’une d’elles revenait souvent: il aurait existé dans les bois au nord de Saint-Amand-Montrond, dans la forêt de Meillant, un monument étrange. Au lieu-dit carrefour de la Table des trois seigneurs aurait été bâtie une sorte de table de pierre à laquelle venaient s’assoir, au Moyen-Âge, trois nobles pour discuter, en limite de leurs domaines respectifs, de leurs affaires.

 

Les preuves objectives de l’existence de cet élément patrimonial reposaient sur des cartes postales anciennes montrant l’endroit peuplé d’une joyeuse foule venue en voiture à âne partager un repas autour d’une grosse pierre triangulaire entourée d’étranges sièges de pierre. On distinguait des inscriptions en lettres gothiques sur chaque face du volume, pas toujours lisibles. Au abords immédiats se trouvaient fichées dans le sol plusieurs grosses pierres dont une très certaine ancienne borne de limite de propriété.

 

Une visite récente dans le parc du château de Meillant m’a permis de voir enfin le monument, déplacé à une date que j’ignore de la forêt aux abords des douves de l’ancienne forteresse.

La table est en mauvais état, brisée en deux blocs; les sièges sont informes. Des traces de graffiti, déjà bien visibles au début du XXe siècle, sont encore visibles. On observe, à plusieurs endroits, des bornes armoriées qui évoquent celle visible sur les anciennes cartes postales. Peut-être est-ce à cause de ces dégradations que l’ensemble a été mis en sécurité dans le parc de Meillant?

L’examen de cet étrange mobilier confirme l’impression qu’il donnait sur les anciennes cartes postales: la table dite des trois seigneurs est une œuvre récente. Ses proportions, très massives, n’évoquent en rien la période médiévale et encore moins la Renaissance. Nées d’une fantaisie contemporaine, les inscriptions soulignent l’imagination de leur commanditaire: sont en effet inscrit les mots « Meillant », « Montrond » et « Bruère ». S’il n’est pas contestable qu’il y a bien eu des seigneurs de Meillant, et encore, pas dans la période primitive du château, Montrond, forteresse située tout près de la première ville de Saint-Amand, n’a pas été une seigneurie avant la fin de la période médiévale. Quant à Bruère, ville fortifiée dépendant, comme Meillant et Montrond, à l’origine, de la seigneurie de Charenton, elle n’a jamais eu de seigneur propre.

Il est donc hautement probable que la Table des trois seigneurs soit l’héritage d’un passé récent, où l’on s’intéressait à la période médiévale sous ses aspects légendaires et monumentaux, et où la rigueur historique n’était le fait que de quelques savants précurseurs de nos propres recherches. L’époque romantique, qui a fait du Moyen-Âge l’un des terrains favoris de son imaginaire, me semble correspondre au temps qui favorisa la genèse de cette pierre à légende.

 

 

© Olivier Trotignon 2020

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24 août 2020 1 24 /08 /août /2020 08:58

 

Il m'est arrivé quelquefois, au cours de mes recherches, de remarquer l'existence de pièces d'archives sans rapport direct avec mon projet, mais qui pouvaient éclairer l'histoire de ma région sous des angles inattendus.

Ainsi, il y a plusieurs années, consultant aux Archives départementales du Cher des copies d'actes médiévaux réalisées sous l'Ancien régime, mon attention a été attirée par des procès verbaux de témoignages, souvent d'essence populaire, rapportant des faits miraculeux liés à la présence, dans le petit prieuré fontevriste d'Orsan, dans le Sud du Cher, d'une relique très particulière: le cœur du moine médiéval Robert d'Arbrissel, fondateur de l'ordre de Fontevraud, décédé dans ce petit monastère au début du XIIe siècle.

Même si les faits outrepassent largement le cadre chronologique de mes études, j'ai proposé une synthèse de mes observations au Colloque de Paray-le-Monial qui a choisi comme thème pour l'année 2020 "Reliques et pèlerinages".

Vous trouverez l'article sur le lien suivant:

 

https://carnetparay.hypotheses.org/1088

 

sous le titre "Pèlerinage et dévotion populaire en Berry du Sud au lendemain des guerres de Religion: les miracles de Monsieur Saint-Cœur".

 

Une partie des informations dont je me suis servi pour développer mes arguments serviront pour ma prochaine conférence, prévue à Coust pour le mois d'octobre.

Bonne lecture!

 

© Olivier Trotignon 2020

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18 avril 2020 6 18 /04 /avril /2020 22:16

 

Une expression populaire trouve probablement son origine dans l’histoire du Berry du Sud, ou plus précisément du Bourbonnais, si on est attentif à la chronologie. Le terme « mouron » est l’homonyme du nom d’une plante sauvage qui prospère dans certains potagers. Elle était redoutée par les cuniculiculteurs car réputée être un poison pour les lapins de clapier, qu’on nourrissait de toutes sortes d’herbes glanées dans les jardins. Pour certains, c’est dans cette menace que se trouve l’origine étymologique du mouron, synonyme de menace, de danger sournois.

Une autre piste avait été proposée par un de mes vieux professeurs d’archéologie qui développait une thèse curieuse. Rompu à tout ce qui concernait l’histoire de la vallée du Cher, il affirmait que la plante n’y était pour rien dans l’affaire, mais qu’il fallait aller chercher dans un épisode tourmenté de cette partie de l’ancien Bourbonnais : le siège de la forteresse médiévale de Montrond (1751-1752).

Il est vrai que cette guerre locale vit s’affronter une garnison défendant la très belle et puissante place de Montrond et une armée de siège diligentée par la monarchie, l’objectif étant de réduire cette grande citadelle appartenant au prince de Condé, meneur de la Fronde. Servie par une forte artillerie et des arsenaux bien garnis, la troupe défendant le château parvint à tenir près de onze mois avant de capituler, vaincue par la faim. La durée du siège n’ayant pas tardé à inquiéter les capitaines aux ordres de Louis XIV, ceux-ci auraient commencé à « se faire du Montrond », devenu, à force d’embuches linguistiques, à « se faire du mouron » sur l’issue incertaine de leur entreprise.

La solution est peut-être encore plus simple que le pensait mon regretté maître. En effet, se trouve aux Archives départementales du Cher des comptes de l’abbaye de Noirlac, monastère cistercien proche de Saint-Amand et donc de Montrond. Dans un inventaire de 1724 se trouve la formule suivante : « rente de mouron », en référence à des droits perçus par les religieux sur les seigneuries d’Orval et de Montrond. Cette orthographe légèrement postérieure au siège accréditerait l’origine locale de cette vieille expression.

 

 

© Olivier Trotignon 2020

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19 février 2020 3 19 /02 /février /2020 07:55

©médiathèque Ainay-le-Château

 

Si tout, ou presque, a été publié sur ce phénomène incontournable pour l'historien que furent les Croisades, on reste assez mal documenté sur l'ampleur de ce mouvement dans les pays du Centre. En m'appuyant sur les dépouillements réalisés dans le cadre de ma thèse d'anthroponymie médiévale, et sur différentes observations menées sur le terrain, je vous invite, dimanche 8 mars, à venir découvrir, dans une conférence inédite, comment les pèlerins et croisés du Berry (et du futur Bourbonnais) ont participé à ce vaste mouvement de migration spirituelle.

Le choix du plan a été compliqué, tant les informations abondent. Sans séparer le pèlerinage de la croisades -les chroniques du temps parlent elles-mêmes de pèlerins partis reprendre Jérusalem)- nous distinguerons les espaces: outre-mer, Europe et Berry avant de se poser la question: qu'est ce que ces pèlerins, armés ou non, ont-ils laissé comme traces de leurs pérégrinations?

Tous mes remerciements vont à Nathalie Pasquier, responsable de la médiathèque d'Ainay-le-Château, dans l'Allier, et à l'équipe municipale pour l'organisation de cette conférence.

Nous vous proposons de vous accueillir à l'espace des Chaumes, place du champ de foire, à partir de 17 heures. Parking facile sur place, accès pour personne à mobilité réduite aménagé, entrée libre avec boite à dons à la sortie pour les frais de publicité, animation avec vidéo-projection de documents d'une heure et demi environ.

Comme toujours, aucune connaissance particulière en histoire médiévale n'est nécessaire pour entrer dans le sujet.

En espérant vous retrouver nombreuses et nombreux...

 

© Olivier Trotignon 2020

 

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10 mars 2019 7 10 /03 /mars /2019 12:56

 

Je vous livre la copie d'un article publié en 2011 dans la revue trimestrielle Berry magazine, dont la publication a été depuis abandonnée. Ayant constaté que cet écrit n'était référencé nulle part et donc introuvable, et n'ayant jamais reçu aucune compensation pour sa rédaction, il me semble juste de le partager sur Berry médiéval. Bonne lecture!

 

Pièce majeure des collections du musée Saint-Vic de Saint-Amand-Montrond, la dalle funéraire du bourgeois Pierre Pèlerin n’a pas encore livré tous ses secrets.

 

Gisants et plates-tombes

 

Alors que la grande majorité des défunts se faisait inhumer en pleine terre dans les cimetières paroissiaux ou autour des églises, certains hauts personnages de la société occidentale ont voulu laisser le souvenir de leur existence bien après leur décès, en se faisant représenter couchés et priants sur de lourdes dalles de pierre scellant leurs tombeaux. Du verbe de l’ancien Françaisgésir(être couché sur le sol) a été hérité le mot gisant, qui désigne, dans le vocabulaire des historiens de l’art, les statues funéraires que l’on peut encore contempler dans des musées, cloîtres et même, parfois, petites églises de campagne.

Certains gisants ont été sculptés longtemps après la mort de l’homme ou de la femme dont ils ornent la sépulture. D’autres encore ont été commandés à l’attention des pèlerins venant honorer des reliques, pour que les voyageurs puissent garder en mémoire l’image du saint dont ils étaient venu requérir les vertus. La priorale de Souvigny, dans l’Allier, ou encore l’église de La Celle-Bruère, dans le Cher, conservent de tels monuments.

Plus simple dans sa réalisation, mais destinée à la même fonction, la plate-tombe est une grande dalle sur laquelle la silhouette du défunt est gravée à plat. Fourmillant de détails précieux pour reconstituer les vêtements et équipements militaires de leurs commanditaires, celles des églises de Saint-Aubin, dans l’Indre et de Venesmes, dans le Cher recouvraient les sépultures de deux chevaliers morts au XIVe siècle.

Beaucoup de dalles funéraires ont été perdues à la suite de la Révolution française. L’abbatiale du monastère cistercien de Noirlac, dans le Cher, abritait encore au XVIIIe siècle de nombreux tombeaux de bienfaiteurs de la communauté, dont certains du début du XIIIe siècle. Aucun ne nous est parvenu.

Dans cette population de saints, membres du clergé, hauts dignitaires de la société civile ou plus modestes hommes d’armes dont l’image est figée dans la pierre se singularise un individu, issu de la bourgeoisie urbaine de la fin du Moyen-âge. Pierre Pèlerin, marchand saint-amandois, anticipant son trépas, passe commande d’une dalle funéraire le représentant sous l’ habit d’un pèlerin de Saint-Jacques.

 

 

Le gisant de Pierre Pèlerin

C’est dans l’ancienne maison de ville des abbés de Noirlac, devenue musée municipal, qu’est exposé le gisant d’un homme connu sous le patronyme de Pierre Pèlerin, mort à la fin du XVe siècle et inhumé dans l’abbatiale du couvent des Carmes, qu’il avait de son vivant contribué à fonder.

Cette sculpture étonne par son absence de volume externe. Contrairement à tous les gisants régionaux qui reposent sur une surface plane, celui du musée Saint-Vic se présente dans une cuve, comme pour figurer le défunt au creux de sa tombe. Une feuillure taillée dans la pierre laisse penser qu’un couvercle devait même la recouvrir, bien qu’on ignore complètement la fonction et la nature d’un tel dispositif. La forte usure de l’épitaphe laisse penser que la pierre n’était pas en élévation mais au niveau du sol, là où marchaient les visiteurs.

Curieux et rare est ce vêtement de pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle dans lequel le disparu a tenu à se faire représenter. Vêtu d’un long manteau en peau retournée et d’une chemise lacée sur la poitrine, l’homme croise les mains sur son torse, tenant son long bâton, dit bourdon, de pèlerin. Pendant à une courroie de son épaule droite, une besace de cuir portant le symbole du pèlerinage ibérique, une petite coquille Saint-Jacques, pend à son coté. La tête du voyageur repose sur un coussin et est surmontée par un dais soutenu par des anges. Les armes de Pierre Pèlerin, trois coquilles percées de dagues, sont sculptées au fronton du dais. Si la pierre est dans un bon état général, on déplore que les iconoclastes révolutionnaires aient martelé le visage et les mains du gisant, et brisé ses pieds et la tête des chiens sur lesquels ils reposaient.

 

 

Enquête sur un inconnu

 

Les archives régionales, encore largement inexploitées dans le détail, livrent peu d’informations sur le commanditaire de la dalle funéraire du musée de Saint-Amand. La seule chose à peu près sûre est qu’il exerçait le métier de marchand, qui fit sa fortune. Les détails du revers de son manteau, qui semble fait de peau d’agneau, permettent d’avancer, sans autres preuves, l’hypothèse que l’homme faisait le commerce de fourrures, très rémunérateur à l’époque. L’emplacement de son hôtel particulier, certainement bâti au cœur de la petite cité du Boischaut, nous est inconnu, tout autant que ses origines, ses alliances et son éventuelle descendance. Mais là où le parchemin fait défaut, la pierre, si on prend la peine de la lire, peut se révéler très instructive.

L’ existence seule du gisant et le lieu de la sépulture livrent certaines informations. Pierre Pèlerin fut assurément un homme riche, et consacra une partie de sa fortune à fonder une abbaye de l’Ordre des Carmes dans les murs mêmes de la petite ville de Saint-Amand. L’importance de l’abbatiale, devenue Hôtel de ville, illustre l’ambition de cette entreprise. Délaissées, ayant souffert de la grande crise du XIVe siècle et de la Guerre de cent ans, les abbayes rurales -Noirlac est à peine à une heure de marche des remparts de Saint-Amand - renvoient aux gens des villes l’image d’un monachisme suranné, inadapté aux aspirations d’une société caressée par les frémissement de la Renaissance. La charité des classes urbaines s’applique plus volontiers aux hôtels-Dieu, léproseries et nouveaux monastères établis dans leur périmètre immédiat, sur lesquels elles pourront peut-être un jour compter pour prendre soin de leurs corps et de leurs âmes.

Et c’est bien dans ce espoir que Pierre Pèlerin s’appauvrit au profit des Carmes saint-amandois. Donner à Dieu, se faire inhumer dans le lieu de prières permettent de racheter ses péchés. De ce point de vue, il demeure un homme profondément imprégné de tradition médiévale

Un détail visible sur le gisant montre que le marchand berrichon adopte aussi les codes de cette nouvelle société qui éclôt sitôt levée l’hypothèque économique et politique de la Guerre de cent ans. Pierre Pèlerin a franchi le seuil de la noblesse, comme le prouve sans ambiguïté le choix des chiens couchés à ses pieds. Chiens pour les chevaliers et damoiseaux, ours, lions ou léopards pour les défunts d’essence royale, les animaux sont sur une tombe un marqueur de noblesse indéniable. Comme d’autre négociants enrichis de son temps - le berruyer Jacques Cœur en est l’exemple le plus connu - on peut penser que Pierre Pèlerin profite de ses revenus pour acheter des terres qui donnent à leur propriétaire les précieux quartiers de noblesse tant convoités à l’époque et s’élever au dessus de sa condition. Son blason, orné comme celui de son homologue berruyer du motif de la coquille Saint-Jacques, est un autre témoin de son appartenance à la nouvelle élite locale.

Une dernière question se pose, à laquelle seule l’observation du contexte historique local peut apporter l’ébauche d’une réponse: d’où Pierre Pèlerin tire t-il sa fortune?

 

 

L’or des comtes de Nevers

 

Une promenade dans les vieilles rues de Saint-Amand nous permet de découvrir les indices de la reprise économique qui transforma la vie de la petite cité lorsque s’éloignèrent du quotidien de ses habitants les troubles engendrés par le conflit avec l’Angleterre. Outre cette grande abbaye urbaine que furent les Carmes, on remarque que les cisterciens de Noirlac construisent pour leurs abbés, à la place de leur ancienne grange en ville, un bel hôtel avec chapelle et pigeonnier. Tout près de là, des maisons avec boutiques et caves sont bâties tout autour de l’ancien cimetière paroissial, devenu place du marché. Les gens cessent de cacher leur argent pour le soustraire à la convoitise du fisc ou d’éventuels pillards: aucun trésor postérieur au milieu du XVe siècle n’a jamais été découvert, à notre connaissance, dans le quartier ancien.

La fin des événements qui entretinrent une insécurité endémique ruineuse pour le commerce ne peut à elle seule expliquer l’enrichissement d’une petite bourgade comme Saint-Amand, même située comme elle l’était au carrefour de routes empruntées par des marchands et des pèlerins. Le vrai catalyseur économique domine de son haut donjon la cité en pleine effervescence: le château de Montrond, propriété récente de la famille d’Albret, résonne des cris des maçons sur leurs échafaudages et des coups de burin des tailleurs de pierre. La vielle forteresse médiévale est en pleine rénovation et double sa superficie. De nouvelles tours sont accolées aux murailles séculaires, l’ancienne basse-cour est fortifiée, un trébuchet, machine de guerre d’inspiration orientale, surveille le flanc nord de l’édifice. De confortables bâtiments d’habitation sont élevés, prêts à accueillir, lors de ses déplacements dans la région, le comte de Nevers et sa cour. 

Peu importe que l’argent provienne du chantier du château ou de la bourse des familiers des comtes du Nivernais: Pierre Pèlerin est de ces hommes qui ont su profiter de la nouvelle situation économique pour s’enrichir.

 

 

Pour l’éternité

Tous comptes faits, Pierre Pèlerin nous surprend encore par un détail biographique ostensible, sculpté dans la pierre de son gisant: son passé de pèlerin de Compostelle. 

Dans l’ancienne tradition médiévale, le pèlerinage était un moyen d’obtenir de Dieu la rémission de ses fautes, tout comme l’aumône à l’Eglise et l’inhumation dans un lieu de prière. Or, le marchand saint-amandois sait que son salut est acquis - les anges qui soutiennent le dais au dessus de sa tête sont là pour le signifier - par le fruit de ses libéralités au bénéfice des Carmes. Sa tombe, placée au cœur même du sanctuaire, motivera les prières des moines pour son âme. Quel besoin a t-il eu d’aller en plus s’épuiser sur les routes du sud de la France et de la Galice? Un tel voyage était-il même compatible avec son métier de marchand? 

Plus que le témoignage de l’accomplissement d’un vœu de pèlerinage, le gisant nous délivre un message pour l’éternité. Comme Jacques Cœur à Bourges, dont les armoiries représentaient une coquille Saint-Jacques et un cœur, Pierre Pèlerin s’est fait représenter par une statue de pierre, vêtu en pèlerin, comme s’il avait craint que son souvenir s’efface de la mémoire des hommes et qu’on ne sache plus à qui dédier les prières qui lui revenaient. Par ce jeu de mot imaginé par un être qui savait que la mémoire s’efface vite, le parchemin est fragile et même les lettres de son épitaphe gravée dans le calcaire étaient condamnées à l’usure, le souvenir de son séjour terrestre nous est parvenu, presque intact, un demi-millénaire après que son corps ait rejoint le froid du tombeau.

 

© O. Trotignon, février 2011

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9 février 2019 6 09 /02 /février /2019 09:13

 

Alors que cette région de bocage que l’on nomme le Boischaud, dans le sud du Berry, se remettait lentement des tourments dévastateurs des Guerres de religion, une rumeur parvint à l’archevêché de Bourges: une relique très particulière, le cœur du bienheureux Robert d’Arbrissel, fondateur du prieuré fontevriste d’Orsan, multipliait les miracles.

Alertée, la hiérarchie catholique décida d’enquêter sur ces faits supposés, et envoya à Orsan un ecclésiastique chargé de recueillir les témoignages de la population.

C’est le fruit de cette enquête que j’ai rassemblé dans une conférence inédite que je présenterai dans un cadre tout aussi inédit pour moi, jeudi 21 février 2019 à 19h, au restaurant l’Hirondelle à Lignières, dans le Cher.

Cet exposé se décomposera en quatre chapitres:

*origines paléo-chrétiennes de la notion de miracle;

*fondation du prieuré d’Orsan et mort de Robert d’Arbrissel;

*pillage d’Orsan et profanation du cénotaphe de Dom Robert pendant les troubles de la Ligue;

*étude des miracles attribués à Dom Robert. Une pause restauration sera proposée au milieu de l’exposé.

 

En pratique:

il est indispensable de réserver vos places auprès du restaurant l’Hirondelle au 02 48 60 09 21.

https://www.facebook.com/hirondelle.restobar.lignieres/

 

Deux parkings à proximité directe, accès personnes à mobilité réduite sans problème.

Aucune connaissance particulière en histoire n’est nécessaire.

Comme pour chacune de mes interventions publiques, le contenu de l’exposé respectera à la lettre les principes de la laïcité.

Merci à Eve Choukroun-Tardif pour son invitation et pour la conception de l’affiche.

Au plaisir de vous rencontrer le 21!

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