La période des Fêtes m’a semblé propice à l’évocation de certains cultes ruraux pratiqués dans les campagnes du Berry jusqu’à des périodes très récentes, et dont les racines semblent plonger jusqu’à un substrat initial antérieur à la christianisation.
Comme partout, l’Église a proposé à l’adoration des foules de reliques qui assuraient une médiation entre l’espace terrestre et la sphère divine. Beaucoup de ces reliques étaient réputées avoir été des objets ou des pièces osseuses ayant appartenu à des saints parfaitement identifiés jusque dans les récents bréviaires. Le pouvoir de ces reliques était censé s’étendre à plusieurs domaines de la vie quotidienne, de la protection des récoltes et des biens à celle des individus. L’univers spirituel des berrichons laissait aussi une large place à des personnalités plus ambiguës, dont la genèse échappait le plus souvent à la mémoire écrite, et qui frappent par leurs similitudes avec des divinités antiques antérieures à l’empereur Constantin.
Parmi ces saints invoqués dans les campagnes les plus isolées du sud de la région se distingue saint Vit, qui agissait dans le domaine spécifique de la virilité. Gens simples et surtout pratiques, les berrichons attribuaient à certains saints des vertus homonymes de leur nom. Ainsi saint Lactensin était-il prié pour aider les jeunes mères à allaiter leurs nouveau-nés, saint Genou pour des problèmes articulaires de la jambe et saint Aignan pour combattre la teigne, grâce à la liaison. Saint Vit, comme son nom l’indique, était réputé rendre quelques services aux hommes qui avaient, comme le dit cette jolie formule médiévale, l”aiguillette nouée”. Pudiquement confondu avec saint Guy, actif pour des symptômes d’agitation et de fébrilité, saint Vit se décline en saint Vic (nom porté par la grange de l’abbaye de Noirlac située près de l’ancienne ville de Saint-Amand-Montrond, et en saint Vitte, éponyme d’une paroisse proche d’Epineuil, autrefois nommée Fleuriel, d’où le toponyme d’”Epineuil-le (près de)-Fleuriel. Il est permis de supposer qu’une relique du saint était déposée dans l’église de cette petite bourgade rurale et que le prestige de ce micro-pélerinage a effacé l’ancienne appellation du lieu.
Le saint Vit berrichon ressemble étrangement à son homologue bourbonnais, saint Greluchon (prononcer Guerluchon) dont une statue était naguère visible dans l’église de Bourbon-l’Archambault. L’objet de culte, aux dires des folkloristes, était muni d’un vit de bois que les femmes désireuses d’avoir des enfants venaient peler au couteau pour en tirer des copeaux qui, mélangés à des vin, auraient eu la propriété de restaurer leur fécondité.
Ces curiosités pratiquées par nos ancêtres rappellent le culte que les romains vouaient au dieu Priape et permettent de mesurer la distance qui séparait le culte romain des rites religieux en usages dans nos campagnes, et combien était fragile le vernis de la christianisation de la Gaule, associant à des personnages bibliques tout un panthéon de petites divinités d’origine antique dans un métissage spirituel d’une richesse dont on ne soupçonne qu’une faible part aujourd’hui.
Saint Greluchon est aujourd’hui détenu par un collectionneur anonyme, ayant été dérobé dans sa niche et il n’ existe à ma connaissance aucune icône de saint Vit aussi ai-je été chercher dans l’église Lorris, à l’est d’Orléans, l’illustration de cet article.