Il est une dimension ancienne de l’abbaye de Noirlac que l’on peine aujourd’hui à apprécier: la vocation funéraire de son abbatiale. Désormais dépouillée de toutes les tombes qui en mobilisaient une partie de l’espace, la nef abbatiale se présente à la vue du visiteur ainsi qu’elle fut pendant le peu d’années qui suivirent la fin du chantier initial.
Rapidement, et malgré tous les savants discours faisant l’éloge du dépouillement de son ornementation, des gisants et plates-tombes firent leur apparition sous les voûtes de l’édifice. Depuis l’abandon de sa vocation monastique à la Révolution, tous les monuments funéraires que contenait l’église ont été retirés et c’est grâce aux observations d’un savant latiniste, dom Estiennot, visitant l’abbaye au XVIII° siècle et notant toutes les inscriptions funéraires qui y étaient alors lisibles, que leurs traces historiques n’ont pas été perdues.
Les plus anciennes tombes se trouvaient près de l’entrée du monument et contenaient, ce qui est normal, les dépouilles du fondateur de l’abbaye et de son épouse. Ornée d’une effigie? du défunt (gisant en haut-relief ou simple gravure sur dalle), la sépulture d’Ebbe, seigneur de Charenton, était proche de celle de sa femme Agnes, elle aussi figurée sur la pierre tombale.
Proche du couple seigneurial se trouvait le corps de leur petit-fils Ebe le jeune (Ebo junior) fils d’Ebe de Charenton sous une pierre le représentant sous les traits d’un adolescent. Ce garçon, héritier désigné du fief de Charenton, s’était noyé alors que son père était aux Croisades où il mourut, ce qui explique l’absence de sa tombe aux cotés de celles de ses parents et de son fils.
Sa fille, Mathilde de Charenton, dame de Charenton, reposait aussi parmi les siens. Décédée vers 1250 après avoir été mariée à Renaud de Montfaucon, il semble qu’elle ait fait le choix d’être inhumée près de ses parents mais loin de son mari alors que le fils aîné du couple, le noble homme Renaud de Montfaucon le jeune, dont la pierre tombale portait encore des restes d’armoiries, reposait avec les Charenton. Très liée à l’abbaye de Fontmorigny, les Montfaucon l’avaient choisi comme nécropole seigneuriale, comme l’indique bien le testament du seigneur Renaud, époux de Mathilde, qui demande à y être enterré. On ne sait rien des sépultures des autres enfants du couple, morts en bas-âge, dont au moins un avait été baptisé.
A ce groupe de cinq tombes contenant les restes de la famille fondatrices peuvent être ajoutées huit sépultures chevaleresques datées entre 1300 et 1461 plus un cénotaphe contenant le cœur d’une bienfaitrice de l’abbaye. On pouvait y lire les noms de plusieurs seigneurs de Bigny ainsi que du château du Vernet, dont nous cherchons toujours la trace quelque part aux États-Unis. Ces tombeaux étaient ornés de gisants ou de simples dalles ornées de diverses figures et blasons.
Si les moines avaient leur propre cimetière au nord de l’abbatiale, une douzaine d’abbés s’étaient fait inhumer dans le sol de l’église, ce qui laisse supposer que les autres avaient soit souhaité de pas être séparés de leurs frères et avaient choisi le cimetière extérieur comme lieu de sépulture, soit reposaient de manière plus humble dans l’abbatiale.
Dom Estiennot note enfin la présence de la dépouille d’un archevêque de Bourges, Henri d’Avaugour, mort le 13 octobre 1446, gisant sous un monument dont il resterait un fragment conservé dans les collections du musée du Berry à Bourges.
Hormis ce vestige, il n’existe plus aucune trace des importants monuments funéraires et des dalles plus sobres que comptait Noirlac à la fin du Moyen-âge. Ceux ci ont probablement été déposés, entiers ou brisés, quelque part aux alentours de l’abbaye. On peut donc espérer qu’un jour, au hasard de travaux, certaines pierres voient à nouveau le jour.
Si d’aventure l’une des personnes lisant cet article avait des informations, même anonymes, sur des traces de sculptures ou d’inscriptions détenues dans des collections privées, je lui serais reconnaissant d’en signaler l’existence.
The lost graves of the cistercian abbey, Noirlac