Une fois n’est pas coutume, mais face à l’adversité, force est d’adapter ses principes, j’illustrerai cette notice avec des clichés d’un objet parfaitement faux, une statue de résine de quelques kilogrammes tout au plus là où j’aurais aimé vous montrer quelques centaines de livres de belle roche sculptée.
Voilà l’affaire en deux mots. Il y a quelques mois, nous avions pris la route de Moulins, dans l’Allier, pour aller visiter le musée Anne de Beaujeu. Dans ma poche, mon appareil photo et dans l’esprit, l’espoir de ramener des clichés d’un des derniers gisants médiévaux berrichons qui m’échappait encore, représentant un des chevaliers de la famille de Brosse, naguère seigneurs des fiefs d’Huriel, Boussac et Sainte-Sévère. Sur place, le personnel du musée se montra intraitable. Médiéviste ou pas, les photos étaient interdites dans le musée. Plus lassé d’argumenter contre ces pesanteurs administratives d’un autre âge que respectueux du règlement, je décidai de rompre la lance et d’attendre des jours meilleurs, qui vinrent de manière assez inattendue, apportant une solution peu élégante quoique radicale à mon problème.
Depuis une foule d’années, j’attendais de pouvoir visiter un jour le donjon d’Huriel, haut lieu de la féodalité régionale tant primitive que tardive, quand l’occasion se présenta presque par hasard lors des journées du Patrimoine. La municipalité d’Huriel organisait des visites du donjon et du petit musée. Je profitai donc de l’aubaine de voir enfin à quoi ressemblait l’intérieur de la grosse tour médiévale, y découvrant, dans un espace muséographique fort bien agencé, un moulage du gisant du musée de Moulins sur lequel ne pèse aucune contrainte juridique de droit à l’image, d’exclusivité, de propriété intellectuelle ou autre règlement plaisant du même tonneau. Rien ne vous empêche donc d’aller admirer l’original, mais la copie gisant dans les murs même où vécurent les commanditaires de l’œuvre primitive, à quelques dizaines de mètres de l’église où on pouvait la contempler jusqu’à la Révolution ne manque pas de caractère.
Cette statue funéraire a un passé tourmenté. On ne sait en fait pas trop bien qui est l’homme sculpté couché la tête sur un coussin, les mains jointes dans un geste de prière et les pieds (disparus) posés sur un chien, selon l’usage du temps. Sa robe, qui est enfilée par dessus son armure, porte de très fines broderies qui reproduisent les armoiries de la famille de Brosse.
Plusieurs notices historiques très complètes sont accessibles sur internet et vous donneront tous les renseignements que je me refuse à reproduire par respect envers le travail des chercheurs qui ont produit ces connaissances. Tout juste me bornerai-je à rappeler que cette dalle funéraire était l’élément central d’un magnifique tombeau de style gothique sur le modèle habituel du gisant sous enfeu, sculpté dans les premières années du XVe siècle. L’œuvre a été décrite avec soin avant sa destruction, ce qui permet d’apprendre qu’elle ne contenait pas seulement les restes d’un des maîtres de la place, mais d’une partie de la famille de Brosse contemporaine de la Guerre de cent ans. Les iconoclastes révolutionnaires prouvèrent une fois de plus la bêtise et l’intégrisme de leur haine du passé en mutilant le pauvre gisant dont seule la partie supérieure a été retrouvée par hasard au fond d’une mare.
Dans les divers rapports que j’ai lus sur le sujet, curieusement, personne ne s’est interrogé sur le sens de l’existence d’une nécropole chevaleresque dans une simple collégiale urbaine, l’église Saint Martin, aujourd’hui presque entièrement disparue mais dont l’emplacement est encore bien visible devant l’esplanade au pied du donjon, alors qu’à une poignée de kilomètres existait le prieuré bénédictin de la Chapelaude, refondé au XIe siècle par un des premiers seigneurs d’Huriel connus, Humbaud, qui en avait fait le lieu d’inhumation des membres de son lignage. L’affaire mériterait d’être observée de près, mais il est tout à fait possible qu’il s’agisse là d’un des multiples avatars de la perte de prestige des monastères ruraux depuis l’essort des villes au XIIIe siècle, qui a frappé de plein fouet les abbayes cisterciennes locales, les communautés urbaines de moines et, comme c’est le cas ici, de chanoines représentant un renouveau spirituel qui a attiré l’empathie nobiliaire.
Je recommande donc une visite du musée d’Huriel pour l’intérêt patrimonial réel qu’il représente et, je le souligne, l’absence d’erreurs historiques comme on en trouve encore trop souvent dans les panneaux d’exposition ou les propos des guides. Une partie d’exposition sur la vigne et le vin à l’époque contemporaine donne à la découverte de l’ensemble un curieux caractère anachronique qui n’est pas, loin s’en faut, désagréable.
emplacement de l'église Saint-Martin, vu de la plate-forme du donjon