J'attire votre attention sur un phénomène botanique insignifiant à l'échelle de l'histoire du Berry mais qui a marqué l'imaginaire des anciens historiens de la région.
J'avais le souvenir d'une légende locale dont je n'arrivais pas à préciser l'élément principal jusqu'à ce qu'un lecteur de ce blog trouve la solution et m'indique l'existence d'une espèce florale rare, la Farsetia clypeata, qui se trouve au centre d'une intéressante série d'observations savantes remontant au début du XIXe siècle. Je n'ai jamais vu cette fleur, sorte de petite giroflée, et, comme aucune des personnes que j'ai sollicitées pour utiliser une de leurs photos en ligne ne m'a répondu, je laisserai le soin au lecteur d'aller découvrir par ses propres moyens l'aspect de cette curiosité.
Au début du XIXe siècle, les botanistes qui inventoriaient les espèces végétales endémiques sur le sol français ont identifié, dans les ruines du château de Montrond, dans le Cher, une petite fleur d'une grande rareté poussant sur la colline où se trouvent les vestiges de l'ancienne forteresse. Un autre site, la ville médiévale de Dun-sur-Auron, fut un peu plus tard repéré. Dans les deux cas, une partie des vestiges date du XIIIe siècle.
Les noms français de la Farsetia clypeata: Herbe de Jérusalem ou encore Herbe des croisades ont peut-être favorisé l'invention d'une histoire, devenue à la longue légende, d'un chevalier berrichon ayant participé aux croisades, revenu avec une graine de cette fleur coincée sous le sabot de son cheval. Cette petite fable locale était encore racontée dans les années 70, quand j'étais bénévole sur le chantier de Montrond.
L'époque à laquelle s'est forgée cette histoire était féconde en récits inspirés par la culture chrétienne de la majorité de la population d'alors, et les livres d'histoire locale ne sont pas avares de ce genre d'anecdotes étrangères à la rigueur de la recherche historique. Avec un certain angélisme, moines et chevaliers vertueux apparaissaient à chaque occasion, ou presque, de parler du passé médiéval d'un terroir.
La thèse de la plante ramenée des croisades est fragile. Le château de Montrond a été élevé dans le premier tiers du XIIIe siècle, son initiateur n'a pas participé aux expéditions en Orient et la préoccupation des chevaliers de l'époque n'était pas la botanique. L'idée de la graine restée sous le pied d'un cheval est plaisante pour un conte pour enfant, mais les conditions de voyage de l'époque excluent totalement qu'un noble berrichon ait pu faire tout ce chemin avec le même cheval chaussé des mêmes fers.
Reste que cette plante a bien été introduite en Berry sur deux sites au moins, peut-être à des époques différentes, à partir de souches proche-orientales ou caucasiennes. Nous savons que la fin du Moyen-âge fut une période où les riches seigneurs aimaient s'entourer de curiosités animales et végétales. La giroflée est peut-être arrivée à Montrond et à Dun à l'époque où les d'Albret séjournaient parfois en Saint-amandois? Il serait sans doute intéressant de pousser les investigations dans d'autres localités de la régions, pour voir s'il ne reste pas de traces de cette espèce, pour affiner l'évaluation du phénomène.
Reste que la petite plante a disparu, victime de son succès et de sa rareté. Les botanistes venaient en arracher des plants pour leurs herbiers et ont fini par éradiquer involontairement ce curieux vestige du passé.
Elle aurait été réintroduite à Dun, ce qui est une fausse bonne idée, car il ne sera plus jamais possible de distinguer les anciennes clypeatae des nouvelles si les graines venaient à migrer dans des sites médiévaux dont la flore n'a pas été encore correctement inventoriée.
© Olivier Trotignon 2012