Pour le dernier volet de notre série de billets consacrés de l’église romane de Condé, près de Lignières-en-Berry, dans la vallée de l’Arnon, empruntons l’un des deux étroits couloirs qui nous mènent vers la partie souterraine du sanctuaire.
Semi-enterrée serait le terme le plus approprié pour qualifier la crypte de Condé, dont le sol est juste un peu plus bas que le niveau de la nef. Cette grande salle, dont les voûtes reposent sur huit piliers centraux, n’est que partiellement encaissée dans le sol de l’édifice. Le volume a été produit en rehaussant de manière significative le sol du chevet, ce qui produit ce curieux effet d’église à deux niveaux. Très sombre, la crypte de Condé n’est éclairée naturellement que par trois petites ouvertures ménagées au ras du sol extérieur actuel, et par la faible luminosité qui parvient de la nef par l’intermédiaire de ses deux galeries d’accès. Les éclairages électriques actuels sont bien entendus les bienvenus, mais ils donnent à cet espace une dimension artificielle que les gens du passé n’ont pas pu connaître.
Outre l’équilibre de ses formes et sa sobriété -un seul visage humain est taillé dans la pierre du chapiteau d’une des colonnes - la crypte présente un aménagement original, sous la forme d’un portique dont le linteau a été cassé et restauré de manière assez maladroite, mais dont la fonction, si c’est bien celle d’origine, mérite d’être décrite.
Au fond de la salle, sur un petit autel, est présente une belle statue de calcaire polychrome représentant saint Denis.
Dans ce pays de petits vignerons disposant chacun de quelques ares de vigne pour leur consommation domestique, le vin occupait un rang élevé au nombre des préoccupations quotidiennes de nombreux habitants. Jusqu’à une date récente, qu’on peut situer vers les années cinquante du siècle passé, les vendangeurs amenaient à Condé les plus petites de leurs barriques et les faisaient rouler jusque dans la crypte. Là, on les faisait passer sous le portique à droite de la statue, dans l’espoir de protéger la future vendange des différentes maladies qui pouvaient anéantir les cuvées. Le fait est d’autant plus remarquable que tous les vignerons de la contrée n’étaient pas, et de loin, des croyants fidèles mais étaient quand même très attachés à ce rite.
Dans une région où les traditions populaires ont été en grande partie conservées par l’oral, et où on peine à trouver des historiens pour explorer les archives, il est impossible d’affirmer que ce culte de saint Denis protecteur du vin remonte aux origines de la construction de Condé. Le petit portique, contemporain des murs du sanctuaire, peut avoir été conçu pour une tout autre finalité. La grande crise du phylloxéra peut avoir poussé les paysans dans le désarroi à se tourner vers saint Denis pour les aider à surmonter l’épreuve terrible qui s’abattait sur leurs exploitations. Il faut donc rester très prudent sur les origines de ce micro-pèlerinage, mais on ne doit pas non plus exclure d’avoir là la rémanence d’un très ancien culte dionysiaque, christianisé sous la forme d’une dévotion à saint Denis.
© Olivier Trotignon 2010